Tension sur les usages du bois
24 novembre 2010
Ce matin, à Mimizan, le petit déjeuner de « Sud Ouest Éco » est consacré aux nouveaux usages du bois
Chez Tembec à Tartas (40), l'une des plus grosses chaudières biomasse de la région.
Dans le droit fil du protocole de Kyoto, l' union européenne s'est engagée à augmenter de 20 % la production d'énergie renouvelable d'ici à 2020. Dans le même temps, les émissions de gaz à effet de serre et la consommation d'énergie devront être réduites d'autant. C'est la fameuse « règle des trois 20 » que le Grenelle de l'environnement a validée au niveau français, poussant l'objectif de hausse de la production des énergies renouvelables à 23 %, contre 6 % aujourd'hui.
Dans ce concert, le bois est amené à jouer une partition importante car il offre l'avantage d'un bilan carbone neutre : il absorbe en poussant la tonne de CO2 qu'il libère en brûlant. « Le bois énergie, c'est à la fois très nouveau et très ancien. On redécouvre qu'il peut produire de la chaleur mais aussi de l'électricité », explique Yves Lesgourgues, directeur du Centre régional de la propriété forestière (CRPF).
2 millions de tonnes
Dans un premier temps, le bois-énergie a été très consensuel et la mise en place d'un système de subventions a favorisé l'envol des investissements dans la filière. Dans le Sud-Ouest, elle est partie dans deux directions : chaudières collectives pour logements, maisons de retraites, hôpitaux, établissements scolaires d'une part ; de grosses chaudières pour sites industriels d'autre part. La plus importante, celle de la papeterie Smurfit, à Facture (33), est calibrée pour consommer 240 000 tonnes de bois par an (voir carte des implantations ci-dessous). « Maîtrise de l'approvisionnement, besoin de chaleur pour leurs process, revente d'électricité à des tarifs subventionnés, éviter d'avoir à payer des quotas de CO2 : les grandes industries du papier ont de bonnes raisons de se lancer dans la cogénération », souligne Yves Lesgourgues.
Au total, l'énergie mobilisera en Aquitaine, à l'horizon 2015, environ 2 millions de mètres cubes de bois. Les rémanents forestiers (cimes, branches, souches), mais également des produits connexes de scierie (sciure), constituent sa matière première. Mais c'est aussi la ressource privilégiée de l'industrie du panneau. Et là, des fissures dans le consensus commencent à apparaître. Le 29 octobre, les « panneauteurs » européens organisaient une journée d'action, estimant que « brûler du bois pour produire de l'énergie subventionnée est irresponsable ». Motif : « Il n'y a pas assez de ressource pour une transformation en produit bois et pour une utilisation biomasse. »
Les granulés en plus
Directeur général de Finsa France à Morcenx (40), Tanguy Massart affirme que si l'on poursuit dans cette voie, il manquera 400 millions de tonnes de bois en Europe en 2020, de 2 à 3 millions de tonnes par an en 2015 en Aquitaine pour faire face à tous les usages. « Notre position est simple, dit-il. Nous ne contestons pas la légitimité économique à faire du bois énergie, mais nous contestons l'utilisation de l'argent public à cette fin ». Les « panneauteurs », que l'on trouve principalement dans le sud des Landes (Egger, Finsa, Darbo, Seripanneaux) ont demandé à participer à la « cellule biomasse » présidée par le préfet et qui instruit les dossiers. « Il a accueilli favorablement notre demande, mais pour l'instant nous n'avons participé à aucune réunion », indique Tanguy Massart.
La tension est accentuée par le fait que s'ajoutent de nouveaux projets très consommateurs de déchets de scierie, pour fabriquer des « pellets », c'est-à-dire des granulés de bois de chauffage. EO2 à Pontenx-les-Forges (40), German Pellets à Bayonne (64) représentent potentiellement plusieurs centaines de milliers de tonnes de bois. Or, l'Aquitaine est déficitaire en sciure. « Il y a deux ans, on est allé en chercher 30 000 tonnes en Auvergne et en Limousin », indique Jean-Bernard Carreau, le Monsieur Biomasse de la Direction régionale de l'agriculture (Draaf) à Bordeaux. Il y a deux ans, c'est-à-dire avant la tempête Klaus qui a réduit considérablement et durablement la ressource sur pied. En résumé : « Avant Klaus, le massif aquitain permettait la transformation de 8,5 millions de tonnes de bois par an. Après Klaus, l'offre n'est plus que de 6 millions. »
Solutions à terme
Faut-il vraiment s'en alarmer ? Sans doute. Mais Jean-Bernard Carreau assure que les réponses existent. Tout d'abord, dit-il, « pour éviter la déstabilisation, on ne subventionne pas les granulés bois ». Ensuite, « on va reboiser différemment. Les énergéticiens vont proposer des itinéraires sylvicoles avec des coupes à 15 ou 20 ans. Il existe aussi un important gisement de souches qui n'avait pas été exploité jusqu'à présent. Enfin, si la situation est tendue sur le pin maritime, il reste d'importantes zones forestières en Dordogne, dans le Médoc, les Pyrénées-Atlantiques. » Elles restent néanmoins difficiles d'accès, notamment en Dordogne (450 000 hectares), en raison d'une propriété forestière très émiettée. « On s'en occupe », affirme Jean-Bernard Carreau.
Tanguy Massart objecte que, pour les panneautiers, aller chercher du bois en Dordogne alourdirait les coûts de production de 3 ou 4 % : « Insupportable dans un secteur aussi concurrentiel que le nôtre. » C'est un argument auquel Philippe Flamant, président des sylviculteurs de Dordogne, ne se montre guère sensible : « On oublie de dire que l'essentiel du bois à terre (tempête, scolytes), acheté à bas prix, servira pour beaucoup à l'industrie du panneau. » Pour le reste, il dresse ce constat : « La période de l'approvisionnement facile touche peut-être à sa fin. » Et il pose dès lors cette question : « Ne serait-il pas temps de penser qu'un véritable partenariat entre l'amont et l'aval de la filière doit se mettre en place ? »