Du nouveau.
Gaz : TechnipFMC et Samsung achèvent un monstre des mers en Corée
ANNE FEITZ Le 24/05/2017
Les deux groupes terminent pour Shell la première usine de liquéfaction de gaz flottante au monde.
Evaluée à 16 milliards de dollars, la plate-forme géante sera remorquée en Australie, sur un champ de gaz offshore.
Partout, les ouvriers s'affairent : soudeurs, peintres, électriciens, instrumentistes, techniciens... En cette belle journée ensoleillée de mai, ils sont plusieurs milliers à apporter la dernière touche à la plate-forme géante que TechnipFMC et Samsung sont en train de construire pour Shell sur le chantier naval de Geoje, au sud de la péninsule coréenne. Un monstre des mers, le plus gros objet flottant au monde - il mesure un demi-kilomètre de long, pèse six fois le poids du plus grand porte-avions : il s'agit d'une usine de liquéfaction de gaz flottante.
Dans quelques semaines ou quelques mois (la date précise est un secret bien gardé), Prelude (c'est son nom) entamera son voyage vers un champ gazier offshore, à 200 kilomètres au large des côtes australiennes. Capable à terme de produire 5,3 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié (GNL) par an, davantage que la consommation d'une ville comme Hong Kong, il commencera à « générer un cash-flow significatif » pour Shell en 2018.
Chez TechnipFMC, ce sera la fin d'une aventure exceptionnelle. « La graine du projet a germé en 2007, lors d'une réunion avec Shell : elle devait durer dix minutes, elle a duré trois heures. A la fin, on s'est dit "waouh !", c'est probablement possible », raconte Thierry Pilenko, président exécutif de TechnipFMC.
Liquéfier en mer le gaz naturel de champs offshore ne s'est alors jamais fait. Le gaz est traditionnellement ramené à terre grâce à des gazoducs sous-marins, pour être liquéfié sur la côte : l'opération consiste à le refroidir à - 162° C, afin de réduire son volume d'un facteur 600 et le transporter plus facilement. Procéder à la liquéfaction sur place dans une usine flottante, baptisée « FLNG » (Floating Liquefied Natural Gas), permet non seulement de ne pas construire de gazoduc, mais aussi d'éviter de demander des permis ou de construire des infrastructures à terre. « Cela permet aussi de construire la plate-forme là où se trouvent les compétences, sans subir l'inflation des coûts qui existait dans certains pays comme l'Australie », relève Thierry Pilenko.
Après la réunion de 2007, il faudra encore de nombreuses années de travaux et d'études pour que le rêve d'ingénieur devienne une réalité. A la suite d'un long processus de sélection, Shell choisit le consortium Technip-Samsung et lance le projet en mai 2011.
« Nous avons alors dû relever de nombreux défis », raconte Alain Poincheval, directeur exécutif du projet. « Premier d'entre eux : compacter l'usine sur une surface quatre fois inférieure à celle qu'elle occuperait à terre ! ». Le résultat est impressionnant : dominant la coque géante, elle-même haute comme un immeuble de dix étages, un enchevêtrement indescriptible de tuyaux, pompes, compresseurs, chaudières, turbines, colonnes s'élève encore sur plusieurs dizaines de mètres vers le ciel.
Coûts et délais respectés
Les défis technologiques ont été nombreux pour ce projet hors normes, premier au monde du genre. Il a fallu notamment adapter à la houle tous les équipements présents sur une usine à terre, s'assurer que la plate-forme résisterait à des vents de 250 kilomètres à l'heure. « Nous avons aussi dû établir des spécifications qui n'existaient pas pour l'assurance », explique Alain Poincheval. Exemple parmi d'autres, de nombreuses surfaces ont été recouvertes d'un revêtement spécial afin de retarder le refroidissement : il s'agit d'éviter que, en cas de fuite de GNL, l'acier refroidi par liquide cryogénique devienne aussi fragile que du verre. « Sans même parler de la gestion du projet, très complexe, menée sur plusieurs sites, entre trois partenaires ! », poursuit Alain Poincheval.
Thierry Pilenko assure que les coûts et les délais ont globalement été respectés. « On est dans l'épure de ce qu'on s'était fixé au départ », dit-il. Pour autant, il n'est pas certain que ce projet soit rentable pour Shell - du moins dans l'immédiat. Son coût est également une donnée hautement confidentielle, mais l'industrie l'estime à environ 16 milliards de dollars (dont 6 milliards pour la plate-forme et le reste pour le forage des puits et les installations sous-marines). Or, il a été lancé à une période où le prix du GNL, largement indexé sur le prix du pétrole, était deux fois plus élevé.
« La rentabilité d'un projet se mesure sur sa durée », souligne Thierry Pilenko. « Or, Prelude, dont la durée de vie est de cinquante ans, doit produire en Australie pendant vingt-cinq ans et pourra ensuite être utilisé sur un autre champ. » Pour l'instant toutefois, Shell, qui avait conçu son géant des mers comme le premier d'une longue série, ne parle plus guère de passer de nouvelles commandes.
Anne Feitz, Les Echos A Geoje, Corée du Sud