Pourquoi la France sera plus riche le 15 mai prochain
le 19-03-2014
Le PIB devrait augmenter, du jour au lendemain, de 40 à 60 milliards d'euros. Vous vous demandez pourquoi ? Et ce que ça va changer ? Alors, lisez cet article.
Voici une nouvelle qui pourrait redonner un peu le moral au gouvernement de Jean-Marc Ayrault, au plus bas dans les sondages. Tout du moins pendant quelques jours. Le 15 mai prochain, quoiqu'il arrive, le PIB de la France gonflera automatiquement de 40 à 60 milliards d'euros. L'équivalent du chiffre d'affaires du tourisme français sur un an. Comment expliquer ce petit miracle ?
Si vous ne sentirez malheureusement pas la couleur de ce changement dans votre vie quotidienne, c'est parce qu'il s'agit d'une nouvelle façon de comptabiliser la richesse nationale. En effet, l'Insee va appliquer de nouvelles normes internationales pour calculer le produit intérieur brut (PIB) dans les comptes nationaux. Toutes les données depuis 1949 seront ajustées à partir d'une nouvelle méthodologie, avec l'année 2010 comme base de référence.
Comment calcule-t-on le PIB ?
Désormais, le poids de l'immatériel sera davantage pris en compte. Pour voir ce que ça change, il faut revenir sur la manière dont on calculait jusqu'ici le PIB. L'une des techniques (il y en a plusieurs, nous y reviendrons) consiste à estimer la somme des valeurs ajoutées de tous les agents économiques d'un pays. En gros, on calcule le niveau de la production des Français auquel on retranche ce qu'on appelle les "consommations intermédiaires". Mais prenons un exemple afin de comprendre ce qui se cache derrière ce jargon obscur. Imaginez qu'on veuille estimer l'apport au PIB d'une boulangerie. Sur le plan comptable, on évalue d'abord les richesses produites (baguettes, pains et autres marchandises). Ensuite, assez logiquement, on retranche tout ce qui a servi à leur fabrication comme la farine, le sel, la levure, etc. Ces ingrédients font ainsi partie des "consommations intermédiaires".
En revanche, lorsque notre boulanger s'offre une petite camionnette pour réaliser des tournées ou qu'il achète un nouveau local, on considérera qu'il s'agit là d'investissements sur le long terme. Ces dépenses ne seront alors pas retranchées du montant de la production finale, contrairement aux consommations intermédiaires. Elles ne sont pas ajoutées à la richesse produite mais elles ne sont pas déduites non plus.
Les missiles deviennent de l'investissement
Le diable se nichant toujours dans le détail statistique, c'est la définition entre ce qui ressort de l'investissement et ce qui a trait aux consommations intermédiaires qui va changer le 15 mai prochain. Certaines dépenses qui étaient considérées comme des "consommations intermédiaires" vont passer dans un nouveau bloc comptable pour devenir de l'investissement. C'est le cas de la R&D et des dépenses consacrées à la constitution de bases de données. Par ailleurs, certains achats de matériel militaire comme les chars, les avions, les sous-marins ou encore les missiles, seront également considérés comme de l'investissement d'un point de vue comptable.
Ces dépenses militaires ou immatérielles ne seront ainsi plus retranchées au PIB national. Et donc, mécaniquement, ce dernier augmentera. Une "progression" qui devrait être comprise entre 40 et 60 milliards d'euros, soit tout de même entre 2 et 3% de PIB gagné du jour au lendemain.
Pourtant, les esprits avisés remarqueront que le salaire des chercheurs est déjà pris en compte dans le calcul du PIB. Va-t-on compter les choses deux fois ? En fait, cela fait référence à une autre méthode de calcul, vu sous l'angle des revenus. Avec cette technique, on calcule le PIB à partir de la somme des revenus de tous les secteurs (globalement les rémunérations des salariés ainsi que les excédents bruts des entreprises ou encore les impôts récoltés par l'Etat). Les salaires de nos chercheurs sont donc déjà référencés.
En revanche, on ne prenait pas en considération le poids de leur travail pour augmenter les capacités futures de production de richesses (ce qui va modifier l'excédent brut d'exploitation des entreprises). C'est ce qui change avec les nouvelles normes comptables. Notez d'ailleurs que les différentes méthodes de calcul du PIB doivent aboutir au même montant de richesse nationale.
Ce que cela va changer concrètement
Officiellement, cette modification de la méthode de calcul sert à mieux coller à la réalité. Il est vrai que la recherche et l'innovation ont pris un poids considérable ces dernières années dans l'économie moderne. Mais cette nouvelle méthode de calcul provoque également pas mal de grincements de dents chez les analystes et les économistes. Car elle n'est pas sans conséquence. En particulier sur tous les ratios qui dépendent du PIB comme… le déficit public ou la dette publique. Avec un PIB qui augmente, alors que le montant des déficits et de la dette est inchangé, le bilan va devenir plus flatteur pour l'exécutif.
Challenges.fr a sorti sa calculette. Si aucune donnée ne filtrera du côté de l'Insee avant la date fatidique du 15 mai, rien n'empêche d'effectuer quelques estimations à la louche. Avec la nouvelle méthode de calcul, le déficit public de la France pour 2012 devrait passer au mieux à 4,6 ou 4,7%, contre 4,8% jusqu'ici avec les anciennes méthodes de calcul. Pour 2013, l'objectif du gouvernement (4,1%) pourrait être atteint, voire même dépassé.
On attend de voir également ce que cela changera sur d'autres variables comme le taux de prélèvements obligatoires (qui pourrait baisser, alors même que vos impôts augmentent!). Cependant, l'impact le plus notable se fera sentir du côté du ratio de dette publique. Celui-ci, estimé pour le moment à 90,2% du PIB en 2012, pourrait osciller dans le meilleur des cas entre 87 et 89%. Un léger mieux donc mais rien d'époustouflant. Et cela ne changera pas les tendances sur la durée, à la baisse ou à la hausse, de ces grands indicateurs.
Toutefois, au moment où la France est sous la surveillance de l'Europe, cela pourrait donner une (petite) bouffée d'air frais à l'exécutif. En effet, les critères de Maastricht (3% de déficit budgétaire et une dette publique à 60% du PIB au maximum) sont gravés dans le marbre des traités européens. Mais pas la méthode de calcul ! Quoi qu'il en soit, l'Insee ne fait ici que se conformer aux nouvelles normes européennes (SEC 2010), établies à partir des recommandations de l'ONU formulées en 2008 et obligatoires à partir de septembre prochain au sein de l'UE. Les Etats européens rejoindront ainsi des pays comme l'Australie, le Canada ou les Etats-Unis, qui ont déjà adopté des normes comptables relativement similaires. Reste que changer de thermomètre n'a jamais fait reculer la fièvre.