Pyrénées-Orientales : Résistante à la sécheresse, la pistache est le nouvel eldorado des agriculteurs
La culture de ce fruit sec, star de l’apéritif, séduit de plus en plus de producteurs, confrontés à des aléas climatiques de plus en plus contraignants
Nicolas Bonzom Publié le 03/03/2024 20minutes.fr
Et si la culture du futur, c’était la pistache ? Dans les Pyrénées-Orientales, une douzaine d’agriculteurs ont parié sur ce fruit sec, qui n’a presque pas besoin d’eau pour se développer. Une aubaine, dans ce département en proie à une sécheresse historique : en 2023, il n’est tombé que 252 millimètres de précipitations, deux fois moins que d’ordinaire. L’année dernière, dans la vallée de l’Agly, le climat était si aride, que des arboriculteurs ont vu leur verger mourir.
Dans ce département qui paie un lourd tribut au changement climatique, la pistache pourrait-elle un nouvel eldorado ? C’est le défi que s’est lancé Avenir Productions agricoles résilientes méditerranéennes (Aparm). Cette association, composée de producteurs, de propriétaires et de collectivités locales, tente de dénicher des cultures résilientes, et moins gourmandes en eau. Mais aussi capables de pousser dans des friches, abandonnées par les agriculteurs, et en proie à des incendies.
Les pistachiers, résistants qu’il fasse chaud… ou froid
En 2021, quand cette structure a misé sur la pistache, ce n’était pas tant la sécheresse qui inquiétait les paysans, mais les épisodes de gel tardif. Et ça encore, la star de l’apéritif s’en balance. « Certaines variétés de pistachiers ont une floraison un peu tardive », confie Myriam Levalois-Bazer, experte agricole et coordinatrice de l’association. Ils fleurissent, en effet, « fin avril, début mai », quand les épisodes de grand froid qui ravagent les cultures sévissent plutôt au milieu du mois d’avril.
C’est un élu du coin, Jacques Bayona (MoDem), maire de Saint-Paul-de-Fenouillet, qui a remarqué que les pistachiers étaient particulièrement résistants aux aléas du climat. « J’en avais planté 66 », se souvient cet ancien viticulteur. « C’était en 2021, l’année où il a gelé au mois d’avril. Il a fait – 6°C. Tous mes arbres, autour, ont gelé. Sauf les pistachiers, alors que les bourgeons étaient déjà bien développés. »
Des pistachiers poussent… dans la garrigue catalane
Alertée par le maire de Saint-Paul-de-Fenouillet, la coordinatrice d’Aparm s’est alors lancée dans de vastes recherches, pour en savoir plus sur cette culture si résiliente, qu’il fasse froid ou chaud. « Je me suis rendu compte qu’on avait des pistachiers sauvages, sur le pourtour méditerranéen », confie-t-elle. Notamment dans les Pyrénées-Orientales, où la pistache pousse partout, dans la garrigue. La preuve que ce fruit sec n’a aucun mal, avec le climat catalan.
L’association n’a pas tardé à proclamer la bonne nouvelle, auprès des agriculteurs du coin. Près de deux ans plus tard, une douzaine ont craqué pour la pistache. C’est le cas de Marguerite Bonzoms, une viticultrice et arboricultrice installée à Calce, au cœur de la vallée de l’Agly. Avec le soutien d’Aparm, dont elle est la vice-présidente, elle a planté au mois de janvier 50 ares de pistachiers, sur son domaine.
Car Marguerite Bonzoms constate, dépitée, à quel point la sécheresse bousille à petit feu ses cultures. « Les vignes, on ne sait même pas si on va parvenir à récolter quelque chose, confie l’agricultrice catalane. Les serments font 20 centimètres, certaines souches meurent… C’est une catastrophe. Cette année, j’ai eu 70 % de pertes », sur sa production viticole. « La pluie, on a l’impression qu’elle nous évite. A tel point que j’ai enlevé l’application Météo, sur mon téléphone ! »
Des pistaches oui, mais pas pour l'apéritif
Alors les pistaches, c’est un espoir, pour les générations futures. Car ses pistachiers, Marguerite Bonzoms n’a quasiment pas besoin de les arroser, et n’a prévu aucune irrigation pour ces nouvelles plantations.
« Je ne vois pas pourquoi des pistachiers pousseraient en Syrie ou en Iran sans irrigation, et pas chez nous », détaille-t-il. Lorsqu’elle les a plantés, l’agricultrice a mis « 15 litres à chaque arbre », puis à nouveau quinze jours après. Et s’il ne pleut pas, « on arrosera, une fois de plus ». Et c’est tout. Ensuite, les faibles pluies qui tombent sur les Pyrénées-Orientales devraient leur suffire. Sans une goutte d’eau supplémentaire.
Mais il y a peu de chance que les pistaches produites sans irrigation soient dévorées à l’apéritif. Car c’est l’irrigation qui permet à la pistache de grossir davantage que la coque, et de s’ouvrir, pour lui donner la forme de celles que l’on picore, à l’heure du jaune. Ici, sans un arrosage abondant, la pistache sera toujours de qualité, mais va rester dans sa coque, sera plutôt destinée à la pâtisserie et à la gastronomie. « Car pour l’ouvrir, il faut la casser, comme une amande. Si à l’apéritif, s’il vous faut un casse-noisettes ou un marteau, ce n’est pas très fun ! »
Une culture testée en Provence depuis 2018
La pistache, ce n’est cependant pas tout à fait nouveau en France. En 2018, dans le Vaucluse, l’association Pistache en Provence avait relancé cette culture, disparue il y a un siècle. Mais dans le Sud-Est, si certains agriculteurs ont choisi, comme leurs camarades catalans, de pas irriguer leurs pistachiers, d’autres, en revanche, les arrosent régulièrement.
« Ceux qui peuvent et qui veulent irriguer leurs pistachiers le font, et ceux qui ne peuvent pas ou qui ne veulent pas ne le font pas, les deux modèles coexistent », indique Benoit Dufaÿ, coordinateur technique du syndicat France Pistache, créé dans le sillon de l’association Pistache en Provence, qui a relancé cette culture il y a six ans.
Mais ceux qui irriguent leurs pistachiers le font « dans des limites raisonnables. On s’est fixé une barrière aux alentours de 1.000 m3/hectare, ce qui correspond à peu près à ce qui est pratiqué dans la viticulture. Mais ce sera toujours une irrigation bien moins importante que les autres cultures. » Ces plantations, en Provence, sont toujours étudiées de très près, pour tenter de définir quel est le modèle le plus productif, le plus rentable économiquement, ou le plus adapté au climat. Mais une chose est sûre : dans le Midi, la pistache est la culture du futur.