En Corrèze, une usine à biomasse va stériliser la forêt
7 juin 2018 / Gaspard d’Allens et Andrea Fuori (Reporterre)
En Corrèze, le projet d’une usine à biomasse censée alimenter des chaufferies de région parisienne suscite les critiques et l’inquiétude de la population pour l’avenir même des forêts : les pellets torréfiés seront produits à partir des souches et des restes de branchage après les coupes rases, ne laissant rien pour la régénération des sols.
Sur la route qui serpente en montant le long du plateau de Millevaches, la forêt dense laisse éclater les couleurs vives du printemps. Une touche impressionniste jaune et vert tendre qui s’éveille au soleil encore doux du mois de mai. Au bord du chemin d’asphalte, des tags sont écrits sur les murs des vieilles granges et sur les transformateurs électriques : « On ne se laissera pas peler ! », « Non à l’usine Bugeat-Viam »,« Ni ici ni ailleurs ! ».
Depuis près d’un an, une grogne gagne les habitants des petits villages en pierres grises de ce territoire rural composé à moitié de forêts. Plantés au siècle dernier, sur les ruines de la déprise agricole, ces bois attirent maintenant les convoitises des industriels, qui voient dans la biomasse leur nouvel Eldorado.
Au grand dam des opposants, l’usine CIBV « Carbon Ingen’R Bugeat Viam » a eu, fin avril, l’accord du préfet de Corrèze pour débuter ses travaux. Son projet ? Produire chaque année 45.000 tonnes de pellets torréfiés — des granulés issus du bois-énergie — qui serviraient de substitution aux combustibles fossiles comme le charbon.
D’après les promoteurs, l’approvisionnement — plus de 113.000 tonnes de bois par an — se ferait dans les 80 kilomètres autour de l’usine en récoltant principalement les souches et les « andains », ces restes composés de branchages, de rémanents abandonnés par les forestiers après les coupes rases et entassés au bulldozer sur les parcelles.
« Les souches et les rémanents sont les garants de l’avenir, les engrais naturels de la forêt »
Pour l’entrepreneur, laisser cette biomasse au sol se dégrader est « une perte de plus-value ». Stockée, broyée, criblée puis torréfiée, elle pourra au contraire être « valorisée » et alimenter des installations thermiques comme la Compagnie parisienne de chauffage urbain, située à 600 kilomètres de là. CIBV lui réserverait la totalité de sa production pour chauffer les habitants de Saint-Ouen. Le plateau de Millevaches, connu pour ses maquis impénétrables sous la Résistance et sa tradition communiste, sera-t-il bientôt un territoire ressource de la métropole ?
À proximité du cours sauvage de la Vézère, l’usine sonne comme le retour de l’âge industriel. Deux cheminées de 26 et 30 mètres de haut culmineront dans le fracas des broyeurs. Une vingtaine de salariés dans la poussière, l’odeur âcre du bois vert qui brûle et les panaches de fumée.
« CIBV a tout pour devenir un nouveau point de crispation », analyse Tonio, un jeune homme né dans la région et engagé contre le projet. « Notre territoire souffrait déjà de l’exploitation industrielle des forêts avec les coupes rases, les plantations artificielles et les monocultures. Avec cette usine, les industriels approfondissent le désastre. » En utilisant les andains au lieu de les laisser retourner au sol sur les parcelles, les entrepreneurs repoussent le seuil de ce qui peut être considéré comme exploitable. « Ils augmentent la ponction sur le vivant et le transforment en marchandise. »
Une aberration agronomique. « Les souches et les rémanents ne sont pas juste des déchets à valoriser, expliquent Émeline Faure et Julien Cassagne, deux techniciens forestiers travaillant sur le plateau. Ce sont les garants de l’avenir, les engrais naturels de la forêt. » Si on exporte les andains, « on risque d’appauvrir la fertilité des sols, accroître l’érosion, baisser la qualité de l’eau et la biodiversité », ajoutent-ils dans des contributions écrites à l’enquête publique. Une menace d’autant plus vive que le sol granitique du plateau est fragile, peu profond et faible en minéraux. « CIBV incarne une vision court-termiste qui menace la pérennité de la ressource. Comme le disaient les anciens, on n’abat pas une vache que l’on veut traire ! »
...............
https://reporterre.net/En-Correze-une-u ... r-la-foret