Bioplastiques, fibres végétales, huiles usagées... Il n’y aura pas assez de bioressources pour tout le monde!
Les besoins en déchets agricoles, huiles usagées et autres produits animaux pour substituer les matériaux fossiles ne cessent de croître. C’est sain pour le climat, mais la concurrence sera rude.
Aurélie Barbaux 05 Septembre 2022
Mieux vaut s’y préparer. Ça va tanguer fort dans le monde du biosourcé en France. L’approvisionnement en déchets agricoles, huiles usagées, amidon, sucre, résidus de bois et autre biomasse valorisable s’annonce tendu. Pour ne pas dire problématique : guerre en Ukraine, qui pousse à accélérer dans la production de gaz renouvelables pour remplacer le gaz naturel russe ; nouvelle réglementation environnementale pour la construction neuve RE 2020 qui promeut les matériaux biosourcés ; course à la neutralité carbone des industriels et son cortège de produits verts ; et arrivée d’un poids extra-lourd, TotalEnergies, dans la chimie verte - production de bioplastique PLA (acide polylactique) et de biocarburants pour l’aviation à partir de 2024 sur le site de Grandpuits (Seine-et-Marne) converti en bioraffinerie.
On ne sait pas encore où TotalEnergies compte se fournir. Le groupe peine déjà à trouver des filières durables pour sortir sa bioraffinerie de La Mède (Bouches-du-Rhône) de l’huile de palme importée, en 2023 comme promis. « La bioraffinerie doit pouvoir un jour remplacer les huiles végétales de première génération par des huiles provenant de déchets et résidus. Pour l’heure, l’état des gisements et des filières ne le permet pas totalement », explique Philippe Billant, le directeur du site.
En attendant les carburants de synthèse, pour incorporer 5 % de biocarburant dans les avions d’ici à 2030 puis 50 % d’ici à 2050 comme le veut la France, il va falloir énormément de graisses animales et d’huiles usagées pour compléter la production d’huile de colza. Et la France n’est pas la seule à devoir décarboner son aviation, sachant que l’avion à hydrogène n’est pas pour tout de suite.
Pour la production de gaz renouvelables via la méthanisation agricole, la pyrogazéification de résidus de bois ou de combustibles solides de récupération et la gazéification hydrothermale de déchets végétaux humides, les acteurs du secteur assurent que les ressources sont disponibles.
La biomasse va devenir une ressource rare
La forêt française ne cesse de progresser et les résidus agricoles sont loin d’être tous valorisés. En 2030, la France pourrait même produire en biogaz 20 % de sa consommation. Sauf qu’ensuite, cela va se gâter. Dans un rapport de juillet 2021, les experts de France Stratégie écrivent : « les premiers résultats montrent que la mobilisation des ressources identifiées ne sera pas suffisante pour répondre aux besoins en biomasse à long terme sans augmenter les importations ou le recours à la biomasse forestière et issue de déchets et d’algues ».
Une analyse confirmée par l’Ademe dans son étude prospective Transition 2050, publiée fin 2021. « Globalement, la biomasse va devenir une ressource rare. Il n’y en aura pas assez pour tout faire. Il faudra faire des arbitrages et développer les analyses de cycle de vie. La priorité ira à l’alimentation et aux usages de la biomasse qui permettent de stocker le CO2 à long terme », résume Grégoire David, un ingénieur performance environnementale des produits biosourcés à l’Ademe.
Mieux vaut produire des matériaux pour le bâtiment et des bioplastiques allégeant les équipements, plutôt que des emballages jetables en bagasse importée. Il faut néanmoins attendre encore pour avoir des données précises sur l’état des filières. France Agrimer ne publiera qu’à l’automne sa cartographie des gisements de biomasse disponible pour produire 12 molécules cibles. Des chiffres très attendus.
Les biodéchets arrivent à la rescousse
On sait déjà que la filière bois, de plus en plus sollicitée, n’est pas organisée pour pouvoir répondre à la demande future. « Le bois, on lui en demande un peu trop aujourd’hui, avec la loi Agec qui interdit le plastique à usage unique », observe Jean Bausset, le responsable des matériaux biosourcés du pôle Bioeconomy for change (ex-IAR). Sans parler des matériaux d’isolation, du bois énergie en bûches ou en pellets, de la production d’hydrogène et de biochar… Heureusement, les biodéchets arrivent à la rescousse pour alimenter, par exemple, des méthaniseurs de proximité comme en Ile-de-France, même si le tri et la collecte restent un défi.
Même dans la filière fibre végétale, la plus organisée pour produire des matériaux biosourcés, la montée en charge annoncée ne s’annonce pas si facile. Les pionniers, comme l’équipementier automobile Faurecia via la coentreprise Eurochanvre ou le fabricant de skis Salomon avec Terre de lin, ont sécurisé leur approvisionnement. Mais les cinq chanvrières en activité et 26 teillages restent des unités très locales, proches des cultures. Pour les multiplier, il faut convaincre d’autres agriculteurs d’inclure le chanvre, le lin, voire le miscanthus dans leur rotation de cultures, notamment en augmentant la valeur ajoutée des produits biosourcés.
Pas si simple. « La culture du chanvre entre directement en concurrence avec celle des céréales comme le blé, plus rémunératrices », reconnaît Alexandre Aquilon, un alternant à l’association Interchanvre. Pour financer ces efforts, dans le cadre de France 2030, l’Ademe a lancé deux appels à projets, « Produits biosourcés et biotechnologie industrielle » et « Industrialisation de produits et systèmes constructifs bois et autres biosourcés », en plus de l’appel à projets historique Graine (Gérer, produire et valoriser les biomasses), plus en amont.
Bioressources: changer de génération
Dans les bioplastiques, qui ne représentent encore que 1 % de la production mondiale de polymères, le problème est un peu différent. Il s’agit maintenant de passer de la première génération, à base de sucre ou d’amidon en concurrence avec l’alimentation, à la deuxième génération à base de biomasse lignocellulosique. Et même à la troisième, à base de sucres et d’huiles produits avec des micro-organismes, des champignons ou des levures, voire à la quatrième, utilisant des sous-produits d’origine animale, comme la caséine de lait. « Mais cette dernière fait débat, observe Lucie Echaniz, la directrice conseil chez GreenFlex. On préfère les deuxième et troisième générations sur lesquelles on commence à avoir une plus-value environnementale - contrairement à la première génération -, même si elle n’est pas nette ». L’huile de ricin utilisée par Arkema et BASF provient par exemple à 70 % de cultures dédiées dans la région du Gujarat en Inde.
Quant à l’exploitation d’algues envahissantes, comme les sargasses en Guadeloupe, elle bute sur des problèmes de collecte. Pour les produits de grande consommation, avant de se lancer tête baissée dans le biosourcé, GreenFlex recommande donc à ses clients industriels de chercher d’abord à « diminuer les volumes de plastiques quels qu’ils soient, puis de faire appel à des matières premières issues du recyclage mécanique plutôt qu’à des plastiques biosourcés vierges ». Tant mieux, car il n’y aura de toute façon pas assez de bioressources pour remplacer tous les produits pétrosourcés.