Les biocarburants de deuxième génération prêts à passer à l'industrialisation
XAVIER BOIVINET le 07/12/2020
À Dunkerque, le projet BioTfuel touche à sa fin. Il doit valider la production de biocarburants de deuxième génération par voie thermochimique, à partir de biomasse lignocellulosique. Et ainsi ouvrir la voie à l’industrialisation.
Le vent souffle à arracher les casques. Les luminaires virevoltent. Les portes résistent à l’ouverture. Il faut lutter pour avancer, tendre l’oreille pour écouter. « Il y a souvent du vent, mais rarement comme ça, admet Jean-Philippe Héraud, ingénieur chez IFP Énergies nouvelles (Ifpen). Il ne faut pas avoir le vertige. » À 25 mètres du sol, les rafales sont d’autant plus violentes, mais la vue est imprenable : à nos pieds, le dépôt pétrolier de Total, au loin, le terminal méthanier, et plus à droite, le site d’ArcelorMittal et ses panaches de fumée emportés par les bourrasques.
Nous sommes à Dunkerque (Nord), sur la plate-forme qui surplombe l’énorme gazéifieur du projet BioTfuel. « C’est la pièce maîtresse du procédé », souligne Jean-Philippe Héraud, chargé du projet. Au cœur d’un labyrinthe de tuyaux qui grimpent jusqu’à 50 mètres, c’est elle qui permet de passer de la biomasse au gaz de synthèse – mélange d’hydrogène (H2) et de monoxyde de carbone (CO) – pour produire ensuite des biocarburants de deuxième génération, ou avancés. C’est-à-dire produits à partir de ressources qui n’entrent pas en compétition avec l’alimentation.
Plusieurs types de biomasse
Lancé il y a dix ans avec un budget de 180 millions d’euros, le projet BioTfuel arrive à son terme. En 2021, les partenaires (Ifpen, CEA, Total, Avril, ThyssenKrupp et Axens) devront avoir démontré la faisabilité industrielle de ce procédé thermochimique de production de biocarburants avancés, principalement tourné vers le biogazole et le biokérosène. Chaque étape a été longuement testée, et l’ensemble intégré : de quoi montrer que la production de biocarburants de deuxième génération à un coût compétitif est un objectif atteignable.
La biomasse utilisée ici est principalement du bois. Penché sur le sol, Jean-Philippe Héraud en ramasse des morceaux noircis de quelques centimètres. Écrasés entre ses doigts, ils sont réduits en poudre. « Avant d’arriver ici, le bois subit un prétraitement qui élimine les composés volatils et les molécules structurant sa fibre de façon à le rendre friable, explique-t-il. Cela limite le besoin en énergie pour l’étape de broyage. » Le prétraitement a lieu sur le site d’Avril à Venette, près de Compiègne (Oise). Les morceaux de bois sont d’abord séchés, puis torréfiés entre 250 et 300 °C sous atmosphère réductrice (sans oxygène). Acheminés à Dunkerque par camions, ils sont broyés pour alimenter le gazéifieur à un rythme de 3 tonnes par heure.
En plus du bois, d’autres ressources sont envisagées pour la France : la paille ou les cultures à vocation énergétique comme le miscanthus, une plante herbacée. Mais le procédé a vocation à être déployé à l’international, souligne Jean-Philippe Héraud. D’où l’ambition de traiter un large éventail de matières premières. « L’idée est de pouvoir utiliser des coques de noix de coco, du bambou, ou d’autres résidus comme la bagasse de canne à sucre. »
Un gazéifieur unique au monde
D’un point de vue technologique, les enjeux les plus importants résident dans les étapes de gazéification et de torréfaction. « Le four de torréfaction était éprouvé sur d’autres types de charges, mais pas sur de la biomasse qui génère de nouvelles difficultés, indique Jean-Philippe Héraud. Quant au gazéifieur, il est unique au monde. » L’installation de ThyssenKrupp, de type Prenflo direct quench, est une version améliorée d’une technologie que l’industriel allemand a déjà commercialisée pour produire de l’électricité à partir de charbon à Puertollano (Espagne). À son pied, une benne,[… abonnés]