La nouvelle arme diplomatique russe qui dérange
18 Aout 2016 Les Echos
Le Kremlin s'appuie sur le géant du nucléaire russe Rosatom pour montrer ses muscles. Il espère étendre son influence aussi bien sur les sphères énergétique et économique que sur le terrain politique.
Depuis l’accident de Fukushima, le secteur du nucléaire s’est mis au ralenti. Certains pays ont décidé de ne plus produire d’énergie atomique, comme l’Allemagne et le Japon. Pourtant, le nucléaire continue d’être valorisé dans de nombreux pays - dont la France - comme un moyen efficace pour disposer d’une énergie bon marché et à l’impact environnemental limité.
Et si le marché du nucléaire stagne, il existe un acteur qui résiste à l’inertie et confirme année après année ses bons résultats : le groupe russe Rosatom. Pays de pétrole et de gaz, la Russie a vu ses exportations dans ces domaines affaiblies par les sanctions économiques internationales décrétées à son encontre au moment des conflits en Ukraine. Cette baisse d’activité l'a contraint à trouver un nouveau moyen pour s’assurer des liens économiques et politiques avec l’UE. Le nucléaire joue aujourd’hui ce rôle.
Une entreprise publique très politique
En quelques années, la Russie a su développer une filière du nucléaire portée par son principal acteur, Rosatom. Cette entreprise publique est dirigée par Sergeï Kirienko, un ami de Vladimir Poutine, et connaît une croissance économique internationale que rien ne semble ébranler. Rosatom développe aujourd’hui ses projets dans 40 pays et vise un carnet de commandes de 130 milliards de dollars d’ici à la fin de l’année.
36 réacteurs seraient signés aux quatre coins du globe, dont 16 déjà en chantier d’après Kiril Komarov, premier PDG adjoint en charge de l’international de la société. Les patrons de Rosatom ne cachent pas leur ambition d’asseoir encore davantage le leadership du groupe sur le marché du nucléaire mondial et espèrent pouvoir prochainement renforcer la présence de l’entreprise au Moyen-Orient, mais surtout en Europe.
Si les résultats de Rosatom ont de quoi susciter l’enthousiasme dans un secteur qui peine à repartir, la force de frappe du géant russe inquiète cependant certains pays qui voient dans la prolifération de ses projets une manière pour le Kremlin de continuer d’impacter l’Europe et le reste du monde, non seulement dans les sphères énergétiques et économiques, mais surtout sur le terrain politique. Le nucléaire russe servirait ainsi de levier d’influence au gouvernement de Poutine, dénoncé aujourd’hui par certains membres de l’UE.
Des projets contestés à l'étranger
Les projets de Rosatom commencent en effet à être contrariés par un mouvement d’opposition présent dans plusieurs pays concernés par l’activité de l’entreprise russe. En Finlande, la construction de la centrale Hanhikivi 1 à Pyhäjoki par Rosatom et la compagnie finlandaise Fennovoima a déclenché une vague de contestations qui a atteint son sommet le 26 avril dernier, lorsque des manifestants se sont introduits sur le chantier de l’installation. 30 ans, jour pour jour, après Tchernobyl, les Finlandais ont tenu à rappeler les risques que pouvait comporter une telle centrale.
Des risques que dénonce également la Lituanie, le pays se retrouvant directement touché par le projet de centrale nucléaire d’Astravets, en Biélorussie . Développée par Rosatom, cette installation de 1,2 gigawatt de capacités devrait être mise en service dès 2018. Le site de construction de cette centrale se trouve ne se trouve cependant qu’à une cinquantaine de kilomètres de Vilnius, la capitale de la Lituanie. Les représentants politiques sont désormais nombreux à exiger que l’UE intervienne pour faire cesser le chantier.
En plus de la promiscuité avec Vilnius, les équipements ne répondraient à aucune des normes d’usage actuellement en vigueur et n’auraient jamais été testés. Des manques sur les questions sécuritaires qui placent la capitale lituanienne face à une situation de grand danger en cas d’accident.
Pour le Kremlin, faire beaucoup et grand
Ces pratiques vont à l’encontre de la politique de la société qui consisterait à exporter uniquement des réacteurs déjà testés en Russie et prouvent que la volonté d’une croissance à tout prix peut in fine coûter très cher. Quand Rosatom se targue de multiplier les projets, c’est le Kremlin qui se gargarise une nouvelle fois de sa puissance. Pour la Russie, il s’agit de faire beaucoup et faire grand. Quitte à faire mal ?
Le 10 juillet dernier, une paroi de réacteur nucléaire de 330 tonnes a fait une chute de deux à quatre mètres de haut, alors qu’elle était transportée au cours d’un exercice juste avant son installation. L’information, rapportée sur sa page Facebook par Nikolai Ulasevich, membre de l’opposition en lice pour les élections législatives de septembre prochain, n’a été confirmée que plus de deux semaines après par le ministre biélorusse de l’Énergie, qui a évoqué une « situation d’urgence ». Si Rosatom a tenu à rassurer son partenaire, l’entreprise publique a tout de même ajouté le 1er août dernier qu’elle était prête à remplacer le réacteur, laissant présager des dégâts plus importants que prévu.
Pierre Dacquin est consultant en nucléaire et énergies fossiles chez Extia
http://www.lesechos.fr/idees-debats/cer ... 020923.php