Quand la finance redécouvre les vertus du nucléaire
Mise initiale importante, retour sur investissement long, emprise des Etats... Les marchés ont longtemps boudé le secteur nucléaire. Face à l’expansion promise il y reviennent. En pariant notamment sur les mines d’uranium
Jean-Pierre Bommer*
*Secrétaire général de la Fédération romande pour l’énergie (
www.frenergie.ch)
Après des années d’indifférence – voire d’hostilité – les marchés financiers recommandent aujourd’hui à leurs clients de ne pas rater le redémarrage planétaire de l’énergie nucléaire. Près de quatre cents centrales sont en construction ou en projet, un investissement de l’ordre de 2000 milliards de dollars.
Jusqu’ici, les milieux financiers n’aimaient pas le nucléaire: cette technologie requiert des investissements initiaux élevés, mais avec des retours mesurés qui s’étalent sur le long terme. Cette caractéristique ne les prédispose pas aux opérations spéculatives, auxquelles se prêtent notamment les énergies fossiles. Autre inconvénient majeur du nucléaire, aux yeux des traders de Wall Street et de la City: le fait qu’il est très largement contrôlé par les pouvoirs publics des pays utilisateurs, pour des raisons de droit et de sécurité.
A cela s’ajoute l’hostilité des adeptes de la mondialisation: le nucléaire, en leur assurant une certaine indépendance énergétique, rend les Etats moins vulnérables aux pressions socio-économiques des «globalisateurs». Le ministre du Travail britannique sortant, John Hutton, soulignait en 2008, lors d’un débat sur le nucléaire, que «la sécurité d’approvisionnement en électricité est fondamentale pour permettre à notre pays de rester un Etat indépendant, libre et démocratique». Un témoignage dont la Suisse, menacée d’une prochaine pénurie de courant, ferait bien de s’inspirer.
Est-il judicieux pour les investisseurs, face à ce retour en force de l’atome, de persévérer dans une attitude hostile? Non! répond en substance l’hebdomadaire Money Week, qui consacrait une récente couverture aux diverses «façons de profiter du regain du nucléaire». Un «mouvement irrésistible», le nucléaire devant atteindre près de 25% de la production électrique mondiale d’ici à 2030.
Dès lors que le mouvement est irrésistible, autant y participer. Mais comment? Les actions des entreprises françaises de pointe dans ce secteur, tels Areva ou EDF? «Méfiance!», nous dit le magazine. «Ces groupes étant contrôlés par les pouvoirs publics, les investissements sont à la merci des aléas politiques».
Les grands fournisseurs privés, tels Westinghouse ou General Electric? Là encore, précise Money Week, «la prudence est de mise, les gros contrats internationaux étant souvent tributaires des relations intergouvernementales».
En revanche, rien n’empêche d’investir dans le nucléaire via des fonds ad hoc qui permettent de limiter les risques, tels le Global Nuclear Energy Fund ou le Market Vectors Nuclear Energy. Et quel que soit le régime sous lequel les ouvrages seront construits et gérés, ils auront besoin de combustible. Raison pour laquelle la meilleure stratégie consiste à miser sur les producteurs d’uranium.
Ce secteur est peu assujetti aux décisions politiques et les principales mines sont situées dans des pays relativement stables (Canada, Australie, Kazakhstan, Niger). La maison de gestion internationale Schroders mise désormais elle aussi sur un développement significatif de l’atome. Sous le label «Global Climate Change Equity», une corbeille d’actions est proposée aux investisseurs privés et institutionnels, qui inclut des producteurs d’uranium et des sociétés engagées dans des projets de constructions de centrales, en Chine notamment.
Lors d’une récente conférence à Zurich, Gavin Marriott, représentant de Schroders, a explicitement évoqué «la renaissance» du nucléaire, en se référant aux plans de développement à l’échelle planétaire. Des capacités de 75 000 mégawatts seront installées en Chine, en Inde et en Russie à au cours des dix prochaines années, puis autant au cours des dix années suivantes. Quant à l’Europe et aux Etats-Unis, les estimations de croissance pour l’échéance 2025 se situent autour de 20 000 MW.
Il n’y a pas que les marchés. Du point de vue du consommateur également, le nucléaire est bénéficiaire. Si la construction d’une centrale nécessite un investissement important, le coût de production de son kilowattheure, qui inclut le démantèlement de l’ouvrage en fin de vie et la gestion des déchets, est globalement inférieur de 20% à 30% à celui qui serait tiré en Suisse du charbon ou du gaz naturel. Cela tient au fait qu’il faut très peu d’uranium pour produire beaucoup d’électricité.
Cette compétitivité, attestée par quarante années d’exploitation d’ouvrages nucléaires en Suisse, permet de maintenir les prix de l’électricité à des niveaux supportables. Selon une étude commanditée par la Confédération, le prix du kilowattheure issu d’un réacteur EPR de troisième génération serait du même ordre que celui des centrales existantes, soit près de 5 centimes.
L’exemple de la France, grande puissance du nucléaire civil, illustre l’atout de cette forme d’énergie. Le kilowattheure y est facturé 9,2 centimes d’euros, contre 14,3 centimes en Allemagne et 16,5 centimes en Italie.
Sans compter que l’industrie nucléaire s’autofinance depuis bientôt quarante ans et ne se nourrit d’aucune subvention. Au contraire, grâce aux impôts sur les bénéfices et aux taxes locales qu’elle acquitte chaque année – de l’ordre de plusieurs dizaines de millions de francs – les centrales suisses sont une source de recettes, et non pas de dépenses pour la collectivité publique.
Autant d’arguments parfaitement mesurables qui devraient peser leur poids dans les débats à venir sur les nouveaux projets nucléaires dans notre pays.