KENNETH ROGOFF
La hausse du prix des matières premières met en évidence une vérité que beaucoup de dirigeants politiques ne veulent pas entendre : les ressources naturelles de la planète sont limitées et les consommateurs occidentaux doivent maintenant les partager avec les milliards de personnes qui sortent de la pauvreté. Voici une autre vérité : le mécanisme de fixation des prix par le marché est un meilleur système de distribution des ressources naturelles que les guerres - méthode utilisée par les puissances occidentales au siècle dernier.
Le programme irréfléchi de subvention des biocarburants est l'exemple de ce qu'il ne faut pas faire. Employer des terres agricoles pour produire des biocarburants a contribué à la multiplication par deux du prix du blé et d'autres céréales. Avec les émeutes de la faim dans une dizaine de pays, le temps est peut-être venu de reconnaître l'erreur.
Ce n'est pas la seule. Il y a aussi la proposition de deux des candidats à la présidentielle américai- ne de supprimer temporairement la taxe sur l'essence. Même si cela permet aux automobilistes peu fortunés de faire face à la hausse du prix du carburant, ce n'est pas la bonne méthode. Il faut au contraire augmenter ce prélèvement. La triste réalité est qu'en maintenant le pétrole à un prix élevé, l'Opep fait bien plus pour la protection de l'environnement que les responsables occidentaux qui cherchent à prolonger l'hyperconsommation dans leurs pays, insoutenable du point de vue écologique.
Ce n'est pas seulement le pétrole qui est cher, mais toutes les matières premières, des métaux à l'alimentation, en passant par le bois. La cause immédiate en est le boom de l'économie mondiale, le plus fort et le plus long de l'histoire moderne. L'Asie a ouvert la voie, mais les cinq dernières années ont été les meilleures pour l'Amérique latine et l'Afrique depuis des décennies.
Certains dirigeants politiques s'en prennent aux spéculateurs qui échangent les matières premières sur des marchés complexes en plein développement, ce qui leur permet de parier sur le fait que, dans l'avenir, la demande des pays émergents va dépasser l'offre. Pourquoi serait-ce une mauvaise chose ? Sachant qu'elles seront aussi nécessaires aux futures générations, les spéculateurs enchérissent aujourd'hui sur les matières premières. N'est-ce pas une réaction saine ? Un prix élevé aujourd'hui signifie qu'il en restera davantage demain et encourage la recherche. Cela va dans le sens d'une politique que les dirigeants occidentaux ont peur d'envisager.
La hausse mondiale du prix des matières premières a des effets profonds sur la pauvreté. Si la hausse des cours est favorable aux paysans pauvres disposant de ressources naturelles, c'est une catastrophe pour les nécessiteux en milieu urbain, dont certains dépensent près de la moitié de leur revenu pour se nourrir. La solution consiste notamment à aider les plus démunis face à l'élévation du coût de leur survie. A long terme, il est essentiel de consacrer davantage d'argent aux engrais et aux aides qui encouragent l'autosubsistance. La Banque mondiale, l'ONU et même l'administration Bush ont pris des mesures, même si elles restent insuffisantes.
La fin du consumérisme occidental n'est pas encore en vue, mais le prix des matières premières est un avertissement sans ambiguïté de la nécessité d'ajustements importants pour s'adapter au fait que l'Asie et d'autres pays émergents commencent à manger une part plus importante du gâteau. Lorsque le boom économique mondial va se terminer, le prix des matières premières va chuter - au moins de 25 %, mais peut-être de 50 % ou même davantage. Les dirigeants occidentaux applaudiront. Mais la hausse du prix des matières premières n'est pas simplement un mauvais rêve que l'on oubliera. C'est un message important sur leur raréfaction dans un monde qui se globalise. Ceux qui veulent l'ignorer, notamment en bloquant les forces du marché, font une erreur tragique.
KENNETH ROGOFF est professeur à l'université Harvard et ancien économiste en chef du FMI.