D'après cet économiste, les hausses répétées proviennent d'une limitation voulue de l'offre par l'OPEP :
Derrière l'envolée du prix du pétrole
[ 30/10/07 ]
Tout comme le prix du brent à Londres qui se rapproche des 90 dollars, le baril de pétrole sur le New York Mercantile Exchange (Nymex) bat de nouveaux records historiques. L'affaiblissement du dollar et les troubles à la frontière turco-irakienne seraient les principales raisons de cette envolée. Ainsi, à chaque record historique des cours du brut, nous nous sommes habitués à trouver de nouvelles explications de circonstances. C'était, à la sortie de l'été 2005, l'impact des ouragans « Rita » et « Katrina » sur les raffineries américaines, puis, en 2006, diverses tensions géopolitiques au niveau international, avec notamment le dossier du nucléaire iranien et la guerre au Liban. Début 2007, étaient invoqués les niveaux de stocks de brut et d'essence relativement bas aux Etats-Unis, ainsi que les difficultés d'approvisionnement du brut au Nigeria et en Irak. Mais ces éléments ne doivent pas nous faire oublier les véritables raisons du renchérissement du prix du pétrole. Si certains épiphénomènes du marché pétrolier, de nature climatique, technique ou autres, paraissent avoir des conséquences disproportionnées sur le prix du baril, c'est avant tout parce que les conditions structurelles de ce marché le rendent particulièrement étroit.
Ce constat ne provient pas simplement du rôle central que tient le pétrole dans notre système productif, mais s'explique principalement par le fait que la réaction de l'offre d'approvisionnement est sur le marché pétrolier particulièrement lente et soumise à de nombreux aléas. Ainsi, parce que les marchés se refusent à écarter un risque réel de rupture des approvisionnements à moyen terme, il existe une prime de risque que l'on peut considérer structurelle, qui renchérit depuis désormais plusieurs années le prix du baril de pétrole. Force est de remarquer que l'or noir est la seule matière première pour laquelle la simple incertitude géopolitique peut se traduire par un aussi fort renchérissement de son prix, sans que les conditions structurelles de l'offre n'aient été modifiées.
Mais quelles sont les raisons majeures qui rendent les tensions sur le marché pétrolier aussi durables ? Bien évidemment l'observation de l'envolée du prix du baril, quasiment ininterrompue depuis 2002, révèle avant tout l'inadéquation du renouvellement de l'offre pour satisfaire la demande mondiale de pétrole et, plus généralement, la demande d'énergie de ce début de troisième millénaire. Si certains n'ont pas hésité à qualifier cette période de nouveau choc pétrolier, toutefois la multiplication par 4 des prix du pétrole depuis 2002 s'appuie sur des fondements bien différents de ceux de la fin des années 1970. L'origine de l'envolée récente des cours s'explique non pas par une manipulation de marché concertée de l'offre menée par les principaux pays producteurs de l'Opep, mais avant tout par le résultat d'un essoufflement global de l'offre mondiale, de par le sous-investissement dans l'offre de production observable dès la fin des années 1990. D'autant que la croissance des besoins mondiaux en pétrole du début des années 2000, conduits notamment par la vigueur des économies émergentes, n'avait pas été anticipée. La croissance de la demande mondiale de pétrole a ainsi doublé pour ressortir à plus de 3,5 % en 2003 et 2004. Le déficit de production qui s'en est suivi s'est traduit par une baisse des stocks mondiaux à des niveaux historiquement bas, malgré un niveau de production au maximum des capacités mondiales. Dans cette configuration, l'envolée du prix du baril reflétait clairement la plus grande rareté économique de l'or noir.
Plus récemment, le plus inquiétant du strict point de vue de l'équilibre offre-demande du marché pétrolier n'est peut-être plus seulement la vigueur de la croissance de la demande issue des pays émergents. Bien que celle-ci soit substantielle (la demande de pétrole en Chine croît au rythme de 6 % l'an et représente moins de 9 % des besoins mondiaux), il convient de souligner que la croissance de la demande mondiale de pétrole est tombée à 1,4 % depuis 2005. Les pays fortement importateurs d'or noir ont en revanche toutes les raisons de s'inquiéter du changement d'attitude de l'Opep. Le cartel a en effet renoué depuis la fin de l'année 2006 avec sa politique de réduction des quotas de production. Officiellement, l'objectif plancher recherché correspondait initialement à un prix du baril de 60 dollars. Et la mise en oeuvre de cette stratégie de contraction de l'offre a finalement relativement bien fonctionné depuis un an. La croissance de la production de pétrole de l'Opep était en retrait de 4 % en août dernier sur un an (en excluant l'adhésion de l'Angola à l'Opep au 1er janvier 2007) et le prix du baril s'est accru de près de 40 % depuis janvier dernier. L'Opep représente à peine plus d'un tiers de la production mondiale. Mais dans un marché tendu où la demande comme l'offre de production sont peu élastiques à court terme, le prix du baril a toutes les raisons de fermement réagir à la stratégie menée par l'Opep.
Comment, dès lors, ne pas voir dans la politique volontaire de contraction de l'offre pétrolière le rôle grandissant que tient l'Arabie saoudite au Moyen-Orient ? Même si le royaume n'est plus le premier producteur mondial de pétrole, dépassé en 2006 par la Russie, il fournit encore à lui seul un dixième des besoins mondiaux. En outre, la puissance américaine n'a plus autant les moyens que par le passé de faire pression sur les pays arabes pour leur demander d'accroître leur production, condition qui semble pourtant nécessaire à un assagissement des cours du pétrole. Et force est de constater que la répartition des réserves mondiales devrait rester, dans les prochaines années, particulièrement favorable à l'Opep. Alors qu'en 2007 sa part de marché effective atteint 36 % (hors gaz naturel liquéfié), ses réserves prouvées approchent quant à elles les 60 % au niveau mondial. De fait, cela signifie que, avec l'épuisement progressif des ressources pétrolières, le cartel sera de plus en plus en mesure de jouer un rôle prédominant dans l'équilibre mondial offre-demande de pétrole, puisque logiquement la part de sa capacité de production au niveau mondial devrait augmenter.
Au regard des rythmes actuels de substitution des énergies alternatives comme le gaz naturel liquéfié (par ailleurs en forte croissance au sein des pays de l'Opep) ou les biocarburants, la prédominance de l'Opep a peu de chance d'être remise en question. D'autant qu'à l'horizon de 2012, avec un taux de croissance de la demande proche de 1,5 %, le monde sera dans l'obligation d'extraire, en sus de la production actuelle, l'équivalent de celle du Venezuela et de l'Iran réunis. Autant dire que les tensions actuelles sur les marchés de l'énergie devraient se répéter dans les prochaines années avec une intensité renouvelée, qu'il convient une nouvelle fois de ne pas sous-estimer.
OLIVIER REYMONDON est économiste au COE-Rexecode.
http://www.lesechos.fr/info/analyses/4642095.htm