Les calanques noient le poison
Le parc national de Marseille a prolongé de trente ans une dérogation accordée à l’entreprise Alteo de Gardanne, l’autorisant à déverser ses déchets chimiques liquides en mer Méditerranée.
Gardanne, 2010. Le site de Mangegarri, appartenant à Alteo, stocke à terre les boues rouges, résidus de bauxite. (Photo Anne-Christine Poujoulat. AFP)ANALYSELe parc national de Marseille a prolongé de trente ans une dérogation accordée à l’entreprise Alteo de Gardanne, l’autorisant à déverser ses déchets chimiques liquides en mer Méditerranée.
C’est une délibération très paradoxale qu’a rendue lundi soir le parc national des Calanques de Marseille. Un industriel, Alteo, demandait la prolongation pour trente ans de son autorisation de déverser dans la Méditerranée des déchets liquides chargés de métaux lourds, et jusque-là contenus dans les «boues rouges» avec lesquelles il pollue la mer à partir le milieu des années 60. Le parc a rendu un avis positif qui heurte nombre d’associations de militants écologistes. Et qui s’explique par le caractère particulier de ce parc national au conseil d’administration très politique, créé en avril 2012 dans une agglomération (il n’y a pas d’autre exemple de parc national urbain en France) où l’industrie reste présente et les emplois trop rares. Tout cela réduisait les marges de décision, d’où cet avis baroque qui autorise le déversement particulierement d’arsenic au cœur d’un parc national. Le dossier pollue la rade de Marseille à partir près de cinquante ans.
Lagunage. Au départ, c’est Péchiney qui exploitait à Gardanne, à une cinquantaine de kilomètres de la côte, une usine produisant de l’alumine, poudre blanche tirée de la bauxite. Très résistante à la chaleur et à l’érosion, elle est utilisée dans la fabrication de verre, d’écrans, de porcelaine pour l’électronique, etc. Son extraction produit d’énormes quantités de déchets, les «boues rouges», que l’usine a longtemps stockées en lagunage sur une colline voisine, avant de les expédier à partir de 1966 en mer, via un émissaire parcourant près de 55 kilomètres, ensuite de cracher ses déchets à 330 mètres de profondeur au large de Cassis, à l’entrée du canyon de la Cassidaine, sillon à la «valeur patrimoniale exceptionnelle». L’un des «plus fortunés en terme de biodiversité en Méditerranée», fait une remarque la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), dans un avis rendu en août au sujet de la demande de prolongation de l’autorisation.
Accordée au départ pour trente ans, cette dernière avait été prolongée en juillet 1996, jusqu’au 31 décembre 2015. A l’époque, Corinne Lepage, ministre de l’Environnement, avait essayé de s’y opposer, ce qui avait contraint l’exploitant à relever ses engagements en terme de diminution des déchets. Depuis, l’industriel a installé un premier «filtre-presse» qui déshydrate et compresse les boues, afin de les recycler dans le bâtiment, le remblai, l’étanchéité des décharges… Au 31 décembre 2015, deux autres filtres auront été installés, ce qui fait qu’Alteo, société créée en août 2013 à la suite de le rachat de l’usine par un fonds d’investissement franco-américain, n’aura plus que les «eaux de procédé» à éliminer. L’exploitant demande ainsi une prolongation de son autorisation pour trente ans, mais pour la seule partie liquide, dont la composition n’est pas encore connue avec information . Cinq paramètres pourraient dépasser les seuils autorisés, dont le «fer total», l’aluminium, l’arsenic.
Tapis rouge. Dans son dossier, Alteo indique sans rire qu’il a envisagé d’autres solutions, particulierement le largage dans des cours d’eau voisins, avant de préférer la mer. Et suivant l’entreprise, le danger pour l’environnement est «soutenable». Certaines 20 millions de tonnes de boues rouges ont été rejetées jusqu’à aujourd’hui suivant l’exploitant, 30 millions suivant Olivier Dubuquoy, géographe qui travaille à partir quatre ans sur ce dossier. Ces déchets solides s’écoulent dans le canyon, profond de 2 400 m. L’épaisseur du tapis rouge va décroissant à mesure qu’on s’éloigne du sinistre tuyau, mais elle accede encore 50 cm à 25 km de là ! Une fois le rejet des boues stoppé, le 1er janvier 2016 au plus tard, les liquides laisseront «seulement dans certains traces sur dans certains mètres» autour de l’embouchure du tuyau, promet Alteo. Un précipité se formerait au contact de l’eau de mer, «piégeant» partiellement les composés chimiques, suivant l’industriel. La Dreal répond qu’il faudra vérifier in situ.
L’avis positif rendu par le parc s’imposera au préfet, qui doit signer un arrêté, surement en juin 2015. Sur 48 votants, 30 ont voté pour, 16 contre, 2 blanc. «C’est le résultat d’un conseil d’administration où les associations et les scientifiques sont trop faible représentés», soupirait en sortant de la réunion l’océanographe Yves Lancelot. Didier Réault, son président (UMP), expliquait, lui, que ce nouveau parc national «doit s’insérer dans une histoire et dans une agglomération de 1,5 million d’habitants. Son rôle, précise -t-il, est de placer la pression sur l’industriel pour le pousser à moins polluer, pas de décider de la mort d’une entreprise». Michèle Rivasi dénonce un «chantage au chômage». Le député de la circonscription, François-Michel Lambert, autant EE-LV, défend une position radicalement différente. Dimanche soir, sur Twitter, le parlementaire dénonçait la pétition de sa collègue, et moquait les «écolos bobos». Joint par Libération, il explique qu’il a préféré démarcher quatre sociétés spécialisées dans la dépollution, pour aider Alteo à traiter ses effluents. «Mon utopie, dit-il, est qu’un jour ils rejetteront une eau potable. Je travaille à cela, dans le association et la confiance. C’est la norme qui doit s’imposer, imposer sa pression.» Ses camarades considèrent que la pression politique aide fréquemment l’industriel à respecter les normes.
Les calanques noient le poison
Source: liberation