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par kobayashi » 12 juin 2006, 14:02
A propos de toutes ces particules que l'on accole au mot décroissance : décroissance soutenable, décroissance conviviale, décroissance à cheval (équitable), etc. « L’une de nos tâches écrit Paul Ariès, consiste à inventer le moyen de formuler [les problèmes] autrement. Il faut apprendre à se protéger des idées qui empêchent de penser. Nous devons pour cela faire un effort constant de correction. Apprenons à nous questionner à partir de nos propres schémas » (p. 78 ). Ok pourquoi pas...
Les choix sémantiques de ceux qui accolent au terme « décroissance » des particules comme « équitable », « joyeuse », « conviviale », « sélective »… se trompent-ils sur le sens véritable de ce terme, c’est-à-dire sur la signification bien comprise de l’objection de croissance ?
Comme le note P. Ariès très justement, l’ensemble de ces particules cherchent à adoucir un terme ou encore « à nous départager de ceux qui ont trop tendance à oublier les humains et d’abord les plus pauvres ou qui considèrent que la solution serait à la respiritualisation religieuse du monde » (p. 76). Pour le designer vincent Cheynet, le terme de décroissance est plus simplement un énième slogan publicitaire sur lequel il déposé un droit de propriété industrielle en 2001.
En réalité, cette nécessité de mettre des particules au terme de « décroissance » me semble venir d’une interprétation économiciste du terme de " décroissance ", comme si celle-ci était l’inverse de la croissance économique, comme si elle était une récession, comme si elle était réductible à une politique économique, voire une politique de développement. Comprenant le terme de " décroissance " dans un sens économiste, donc forcément négatif (rien de pire que l'absence de croissance dans une société de croissance), nos multiples accoleurs de particules cherchent alors à adoucir un terme qu'ils ne comprennent que faussement.
Paradoxalement, P. Ariès, qui semble pourtant avoir totalement saisi l’anti-économisme sans concession de l’objection de croissance, nous semble faire aussi cette même erreur lorsqu’il écrit cette ligne qui nous semble des plus contradictoires : « Nous savons que la décroissance n’est pas la récession. On ajoutera que si l’idée d’une croissance infinie est une stupidité, celle de décroissance infinie est tout aussi stupide » (Ariès, p.69). Pourquoi apposer un tel qualificatif quand comme P. Ariès on écrit très justement que le mouvement des objecteurs de croissance « abolira la société économique » ? Ainsi ce qualificatif (« infinie ») apposé au terme « décroissance », me semble manifeste d’une interprétation quantitativiste (« infinie ») donc économiste de ce terme. Comme si la décroissance pouvait se mouvoir au sein de la raison calculante. Comme toutes autres particules (équitable, conviviale, sélective…), l’on reste là dans une conception économiste de la décroissance perçue comme l’inverse de la croissance économique. On oppose la croissance infinie à la décroissance infinie. Cette contradiction paradoxale et permanente chez Paul Ariès, nous semble également manifeste dans cette phrase : « Peut-être un jour faudra-il changer de registre de vocabulaire. Soit que nos mots seront usés soit que notre pensée aura évolué. Il faudra bien un jour dépasser la contradiction de la croissance et de la décroissance pour penser un autre type de société. » Cela montre encore une fois, que le terme de « décroissance » est ici interprété dans un sens économiste, car on ne le définit en creux que par rapport à son opposition à la croissance. Comme l’écrit encore P. Ariès sans que l’on sache clairement la radicalité des leçons qu’il en tire, « la décroissance est tout sauf un autre modèle économique » (p.77), ce qui correspond en effet à la définition bien comprise de l’objection de croissance. On ne comprend pas trop alors cette contradiction permanente, entre interprétation anti-économiciste et interprétation économiciste du terme « décroissance », lui qui se fait le théoricien du concept de " décroissance équitable ". Concept qui est déjà le drapeau de campagne du PPLD qu’il tentera de planter l’année prochaine dans l’ensemble de nos chaumières. Il ne peut pas y avoir de « décroissance équitable » (comme le soutient Ariès) comme de « décroissance infinie ». Subrepticement en donnant une particule au terme de décroissance, on montre là que l’on est pas sorti de l’imaginaire économiste. On oppose encore la décroissance à la croissance.
On est là au cœur d’un profond malentendu au sein du mouvement des objecteurs de croissance. En ce sens, la bio-économie reste également tributaire de l’imaginaire de l’économisme comme le pense S. Latouche (Ariès partage ce point de vue). Finalement beaucoup d'objecteurs de croissance pensent au fond, que la décroissance c’est l’inverse de la croissance économique. Pour réduire notre « empreinte écologique » il suffit de prôner la décroissance économique. C’est ici, l’interprétation fausse et réductrice de l’objection de croissance que fait par exemple Yves Cochet (tickets de rationnements etc). Bien entendu cette position en soi est totalement juste, il nous faut réduire nos ponctions en ressources matérielles comme le dit Jean-Paul Besset. Et l’objection de croissance partage cette idée fondamentale de réduire ces ponctions. Mais l’originalité fondatrice de l’objection de croissance, c’est d’essayer de penser cette réduction de la ponction globale en matières premières, en sortant de l’imaginaire de l’économisme, donc en sortant de l’idée même de « décroissance économique », simple inverse de la croissance économique.
S. Latouche ne veut désormais plus parler de « décroissance » car en effet même de nombreux objecteurs de croissance tombent dans le panneau de l’interprétation économiciste du terme de « décroissance ». Désormais cet auteur préfère parler d’ « a-croissance » (comme l’on parle d’a-théisme) et éviter le terme de décroissance qui prête beaucoup trop à confusion. Bernard Guibert lui aussi est sur cette position bien comprise de la signification du terme de « décroissance ». La question n’est pas celle de la dichotomie entre croissance économique et décroissance économique. La question est celle de sortir de l’imaginaire de l’économisme, de sortir de l’Economie en la remettant à sa juste place. Si l’on peut concevoir dans une société prônant l’objection de croissance, une décroissance économique de l’économie, il faut toujours avoir en tête que cette économie là n’existe plus comme elle existerait au travers de l’imaginaire de l’économisme. C’est une économie « réenchassée » dans le social et dans la vie de la praxis. L’objet « économie » disparaît alors, n’existe plus en soi, de façon autonome, c’est-à-dire au-dessus de l’ensemble des réalités réelles et leur dictant ses lois suprêmes. La décroissance économique ne peut se comprendre et exister que dans le cadre de cette disparition de l’autonomie de l’économique, cette sortie de l’Economie. Alors, à quoi bon continuer à apposer des particules adoucissantes à un terme totalement inconsistant dans le cadre de la disparition de l’autonomie de l’économique. Osons, une petite provocation ouvrant sur la signification bien comprise de l’objection de croissance. Dans le cadre de la disparition de l’autonomie de l’économique, la décroissance n’existe pas, pas plus que la décroissance « équitable », « joyeuse », « conviviale », « sélective »… L’objection de croissance économique est aussi une objection à la décroissance économique ! Les objecteurs de croissance sont alors également des empêcheurs d’accoler en rond !
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Les citations de P. Ariès sont tirées de son excellent ouvrage Décroissance ou barbarie, Golias, 2005.