Main basse sur la Terre

Impact de la déplétion sur la géopolitique présente, passée et à venir.

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Re: Madagascar

Message par energy_isere » 21 nov. 2008, 14:22

Qu'est ce que cette affaire bien puante ?
louer, 1 million d’hectares, gratuitement…

L'offre peut, en ces temps de franche disette financière, paraître fantaisiste. Mais que l'on ne s'y trompe pas, elle est en réalité des plus sérieuses !Ainsi la Corée du Sud vient-elle de signer avec Madagascar un bail de 99 ans portant sur la location de 1,3 million d'hectares de terres potentiellement arables, soit tout de même l'équivalent de la moitié de la superficie de la Belgique...
Détail croquignolet ou troublant, la Corée ne paiera aucun loyer pour l'usage de ces terres ! Mais il est vrai que les travaux de viabilisation devraient représenter un investissement de 6 milliards de dollars, pris en charge, lui, par Séoul.

Un tel accord paraît d'emblée répondre aux intérêts des deux parties : d'une part, Madagascar donne un coup d'accélérateur à la filiale agroalimentaire, l'un des axes de développement prioritaires de l'île, d'autre part, la Corée, 4e importateur mondial de maïs, pourrait à terme en produire jusqu'à 4 millions de tonnes sur place. Qui plus est, il ne s'agit là que d'un exemple parmi d'autres : ainsi le conglomérat britannique Lonhro ambitionne de louer 2 millions d'hectares en Afrique tandis que les pétromonarchies du Golfe ont depuis longtemps déplié leurs cartes d'état-major pour étudier de tels desseins.
De tels développements ne manqueront évidemment pas de provoquer un concert de hurlements, lamentoso furioso, des chœurs traditionnels de l'Armée Verte... Alors, néocolonialisme nauséabond avançant à visage masqué ou bien plutôt pragmatisme incontournable et mutuellement bénéficiaire ? Il va de soi que nous ne prétendrions jamais – ô grand jamais !... - trancher un débat aussi épineux et sulfureux...
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Re: Madagascar

Message par Kanor » 21 nov. 2008, 14:43

Pourquoi faire la guerre pour accaparer des nouvelle terre ?
Des terre gratuite ](*,)

Le gouvernement de Madagascar a encore des pouvoir sur le territoire ?

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Re: Madagascar

Message par energy_isere » 21 nov. 2008, 18:33

ce qui est bien puant est que les locaux vont se faire spolier de leur terre, tout pareil qu'en Indonésie avec les foréts humides transformée en terres de palmier à huile sans plus aucune biodiversité et de société traditionelle des locaux.
:evil:

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Re: Madagascar

Message par energy_isere » 02 janv. 2009, 20:38

je reviens sur cette affaire de location de terres de Madagascar. S' agissant de la Corée, c' est en fait la compagnie Deawoo qui est sur le coup.

J' ai lu l' info dans le Nouvel Obs de cette semaine. Ils parlent de 1.3 millions d'hectares ! :shock: Ils citent une source du Financial Time.

En cherchant sur Google on trouve aussi daté du 21 Nov 2008 l' info, qui donne justement une traduction de l' article du Financial Time : http://www.amisdelaterre.org/Daewoo-a-M ... faire.html
Daewoo à Madagascar : "Bonne affaire ou Madagascar va-t-il rester sur sa faim ?"

Avec l’aggravation de la crise alimentaire, des pays comme l’Arabie Saoudite ou la Corée du Sud cherchent à assurer leur approvisionnement alimentaire.

D’un autre côté, de nombreux pays du Nord investissent dans des plantations de canne à sucre et de palmiers à huile pour fournir le marché croissant des agrocarburants.

Espérant des retombées économiques, certains pays très pauvres comme l’Ethiopie, sont prêts à accorder des concessions à des investisseurs étrangers pour des terres qui seraient si nécessaires pour nourrir leurs propres populations.

Voici un article du Financial Time qui rapporte comment Madagascar donne en concession la moitié de ses terres arables à Daewoo.

C. Berdot



Par Song Jung-a et Christan Oliver à Séoul et Tom Burgis à Johannesbourg, article paru le 19 novembre 2008 dans le Financial Time. :

Lors de la signature d’un protocole d’accord en mai, Daewoo annonçait qu’il s’était entendu avec le gouvernement de Madagascar pour avoir une license gratuite de 99 ans dans le but de cultiver 1,3 million d’hectares de terres agricoles. Lorsque la compagnie signa le contrat en juillet, elle accepta de discuter du coût de l’opération avec Madagascar, mais il semblerait maintenant que Daewoo n’ait rien à payer.

D’après Mr Hong : « Madagascar est un pays totalement sous-développé qui est resté intact. Nous allons leur fournir des emplois en leur faisant cultiver la terre, ce qui est bon pour Madagascar ». Les 1,3 million d’hectares sous licence représentent presque la moitié des terres actuellement arables de ce pays africain qui en compte environ 2,5 millions.

Madagascar pourrait aussi bénéficier des investissements de Daewoo sous forme de routes, d’irrigation et d’équipements pour le stockage des grains.

Un diplomate européen en poste en Afrique du sud, déclare cependant « Nous craignons qu’il y ait très peu de bénéfices directs (pour Madagascar), les projets extractifs ayannt très peu de retombées pour une industrialisation plus large ».

Depuis ces 5 dernières années, les pays asiatiques se tournent de plus en plus vers l’Afrique pour satisfaire leurs besoins en ressources. La Chine a renforcé de façon particulièrement agressive ses participations dans les champs de pétroles et les mines sur le continent africain et s’est même parfois vue accusée de néo-colonialisme.

Mais actuellement, les pays délaissent le pétrole et les mines pour favoriser l’alimentation. Roelof Horne qui dirige le fond Investec Asset Management’s Africa, s’attend à voir une augmentation des investissements dans les terres agricoles sur le continent noir. Pour lui, « L’Afrique possède la plus grande surface de terres sous-utilisées dans le monde », même s’il ajoute un bémol « La terre a toujours une charge affective forte ».

Indépendamment de Daewoo, un nombre croissant de compagnies sud-coréennes s’aventurent à Madagascar, investissant dans des projets allant des mines de nickel, à des centrales hydrauliques. L’entreprise d’état, Korea Ressources, a signé récemment un accord préliminaire avec Madagascar pour accroître la collaboration sur le développement des ressources, y compris des projets miniers pour d’autres métaux.

Daewoo projette de commencer la production de maïs sur 2000 ha à partir de l’an prochain et de l’étendre progressivement à d’autres parties des terres sous licence. La compagnie prévoit ainsi de planter 1 million d’ha en maïs dans la partie ouest du pays et 300 000 ha en canne à sucre [1], dans la partie est.

La compagnie prévoit d’envoyer par bateau la récolte brute en Corée du sud et d’en exporter une partie vers d’autres pays. On ne sait pas si la moindre production va rester à Madagascar, une nation très pauvre où le fond Alimentaire Mondial fournit une aide alimentaire pour environ 600 000 personnes soit 3,5% de la population.

Le Programme Alimentaire Mondial - agence de l’ONU en charge de l’aide alimentaire d’urgence - estime que 70% de la population de Madagascar vit en dessous du seuil de pauvreté. « Plus de la moitié des enfants de moins de 3 ans souffre d’un retard de croissance, dû à un régime alimentaire chroniquement inadapté ».

Les investissements étrangers dans les terres agricoles se poursuivent, alors que cette année a connu une crise alimentaire qui vit les aliments de base comme le riz et le blé, atteindre des prix record et que des émeutes de la faim éclatèrent de Haïti à l’Egypte.

Daewoo déclare avoir choisi d’investir à Madagascar car ce pays est resté relativement épargné par les compagnies occidentales. Pour Mr Hong « Le pays pourrait s’avérer être encore plus intéressant pour nous, car peu de compagnies occidentales sont présentes ».

Daewoo prévoit de développer les terres arables à Madagascar durant les 15 années à venir et de fournir ainsi près de la moitié des importations en maïs de la Corée du Sud. La Corée du Sud est un pays très peuplé disposant de peu de ressources. C’est le 4ème importateur mondial de maïs.


[1] Selon les explications de son Président, Daewoo Logistics s’intéresse tout particulièrement à Madagascar parce que le pays présente des similarités avec l’Indonésie où son entreprise travaille déjà dans le domaine de l’agriculture, particulièrement dans la plantation de palmiers à huile et qu’il y a une forte demande mondiale, estimée à 50 millions de tonnes par an. (AllAfrica.com)
Voila un néocolonialisme de retour. :evil:

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Re: Madagascar

Message par Silenius » 04 janv. 2009, 23:53

Kanor a écrit :Pourquoi faire la guerre pour accaparer des nouvelle terre ?
Des terre gratuite ](*,)

Le gouvernement de Madagascar a encore des pouvoir sur le territoire ?
Que je sache, les Coréens n'ont pas importé les terres chez-eux ! Ils vont juste apporter du capital pour les mettre en culture. Ce qui sera produit là n'aura pas a être acheté sur le marché mondial, diminuant d'autant la pression a la hausse sur les cours mondiaux.
Si de nombreux Malgaches souffrent malheureusement de faim, ce n'est pas par manque de terres cultivables. On peut bien sur regretter que les paysans locaux ne bénéficient pas beaucoup des retombées économiques.
Le cours mondial du maïs a été divisé par 2 depuis l'an dernier, mais ça n'a pas fait les gros titres d'oléocène...
Même ici, il n'y a que le catastrophisme qui fait recette.

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Re: Madagascar

Message par nemo » 05 janv. 2009, 12:30

Le cours mondial du maïs a été divisé par 2 depuis l'an dernier, mais ça n'a pas fait les gros titres d'oléocène...
Même ici, il n'y a que le catastrophisme qui fait recette.
Tu as raison c'est regrettable.
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Re: Madagascar

Message par energy_isere » 05 janv. 2009, 12:43

Silenius a écrit : Même ici, il n'y a que le catastrophisme qui fait recette.
et bien j' attend de voir comment les Coréens vont faire attention à la préservation des sols (la plantation de Mais ne me dit rien qui vaille),

et comment la ressource en eau va étre pillée pour arroser ces champs de Mais,

et comment va fondre la biodiversité dans ces régions.

:-"

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Re: Madagascar

Message par Silenius » 05 janv. 2009, 23:36

Il y aura surement des impacts négatif, mais les Malgaches savent trés bien détruire leur environnement tous seuls ! Dans des zones densément peuplée, ils ont transformé des coteaux boisés en "mornes" a la mode Haïtienne :cry:
Je pense que les Coréens vont cultiver le maïs dans des zones ne nécessitant pas d'irrigation, car a $3000/ha d'investissement en matériel d'irrigation, ça fera juste 3 milliards de Dollars.... un peu cher la gratuité, non ? :lol:
Ce sera certainement des plaines, donc peu d'érosion s'il utilisent des techniques respectueuses (semis direct sous couvert ;) )

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Main basse sur la Terre

Message par Tovi » 14 mars 2009, 17:29

Les derniers évènements de Madagascar ne sont que la confirmation, la partie émergée d'un problème qui a débuté voici quelques années, voir quelques mois seulement. Il s'agit de l'appropriation des terres agricoles, en particulier africaines, par des pays émergents, ou disons, simplement riches.
La plupart ont des motifs, si ce n'est nobles, du moins compréhensibles. Pour des raisons de sécurité alimentaire, des pays comme la Chine, le Japon ou les pétromonarchies (et aussi Inde, Corée, Egypte, Lybie) vont tenter de garantir leurs approvisionnements en nourriture. Soit parceque leurs terres sont arides, soit parcequ'elles sont insuffisantes par rapport à leur population (et leur mode de consommation...).
Les récentes crises alimentaires, doublées d'émeutes et d'instabilité politique ont accentué ce phénomène. La crise financière a de son côté redonné de la valeur à des biens fondamentaux, comme les approvisionnements alimentaires.

Ainsi des pays comme le Pakistan, le Bresil, le Kenya, l'Ouganda, le Cambodge, Somalie, Kazakhstan, Ukraine, Turquie, Thailande, Birmanie, Philippines, Madagascar et bien d'autres se font peu à peu dépouiller de leurs ressources. Le Soudan est sans doute l'exemple le plus choquant puisque non seulement l'Arabie Saoudite a trouvé plus rentable d'y acheter des terres que d'arroser ses tomates avec du pétrole (dessalinisation), mais en plus elle finance en sous main les milices arabo-islamistes pour la basse besogne d'épuration ethnique. Sans parler du pétrole en sous-sol, mais là c'est un problème déjà mieux connu.

Choquant aussi que ces pays meurent de faim en regardant partir leur nourriture à l'étranger. C'était déjà le cas lorsqu'ils furent spoliés de leurs terres au profit des grandes exploitations de monoculture de café, de coton et de cacao, étant alors contraints d'aller s'entasser dans des bidonvilles, mais en plus de celà il n'est plus possible d'importer la nourriture subventionnée européenne (qui casse l'agriculture vivrière locale).
Cette nouvelle forme de colonialisme ne prend même plus la peine de sauver les apparences quand de grands céréaliers chinois vont même jusqu'à y faire travailler leurs propres ouvriers importés.

On comprend alors mieux l'explosion de violence face à l'inhumanité d'un tel système économique.
Du côté des dirigeants locaux la corruption y est usuelle. Les devises générées couvrant faiblement la charge éternelle de la dette et l'aide alimentaire mondiale permettant d'éviter le pire.
Assistanat, corruption, frustration, les identités nationales sont frappées de plein fouet, la dignité des hommes également. Combien de temps pourront ils supporter de voir leurs produits alimentaire partir vers l'étranger ?
Et avec l'érosion des sols, leur bétonnage (en particulier en Chine) et l'explosion démographique persistante au niveau mondial, c'est une véritable guerre silencieuse qui est menée pour de longues années encore.
La guerre des capitaux contre les souveraineté alimentaires nationales. La guerre de la faim, une guerre sans canons qui fait et fera encore des millions de victimes.
Dernière modification par Tovi le 14 mars 2009, 18:58, modifié 3 fois.
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Re: Main basse sur la Terre

Message par Lo » 14 mars 2009, 18:35

:smt023 pour Tovi.
Cette guerre sans canon est tout de même très violente.
Cet avatar de la mondialisation s'en prend aux terres arables. Richesse parmi les richesses.
Bientôt le concept de nation sera un luxe que seules les grandes puissances pourront se payer. Les autres seront traitées de "terroristes" , comme on disait "communistes" ou, plus récemment, "écologistes", si elles ne "coopèrent" pas.

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Re: Main basse sur la Terre

Message par Tovi » 14 mars 2009, 19:11

Pour mémoire, la situation à Madagascar provient de la vente d'un million d'hectares de bonnes terres agricoles à la Corée du Sud.
Discrètement, des pays très peuplés comme la Corée et la Chine, ou très riches comme les pays du Golfe, s'emparent des terres arables et des forêts de Madagascar ou de Bornéo. Ce phénomène opaque peut cacher le pire comme le meilleur. Le pire étant l'expansion de monocultures polluantes qui appauvrissent les pays et entretiennent la crise alimentaire mondiale...

Il était une fois un pays ayant trop de bouches à nourrir et pas assez de terres à cultiver. La bonne nouvelle, c'est que le pays en question, la Corée du Sud, disposait de suffisamment de devises pour importer du riz, du soja et du maïs. La mauvaise, c'est que l'époque était à la spéculation sur les denrées alimentaires. Et la Corée, pays certes émergent et dynamique, avait du mal à s'approvisionner sur le marché mondial. Alors, elle eut une idée : plutôt que d'acheter des récoltes, pourquoi n'achèterait-elle pas des terres ? D'immenses espaces, là où ils étaient bon marché, dans des pays pauvres, en Asie, en Afrique ! Bien sûr, il faudrait procéder en douce pour ne pas choquer les autochtones. Mais ce détail excepté, l'idée était excellente. Et c'est ainsi que la filiale agricole d'un des fleurons de l'industrie sud-coréenne s'empara furtivement de 1,3 million d'hectares à Madagascar, soit le tiers des terres arables de l'île, pour y produire du maïs et de l'huile de palme pour le marché sud-coréen. Au même moment, frappés de plein fouet par la crise alimentaire, les Malgaches étaient contraints d'importer pour satisfaire leurs besoins.

Racontée ainsi, l'histoire paraît sortie de l'imagination de John Le Carré, dernière époque, celle qui nous a donné La Constance du jardinier ou Le Chant de la mission. Tout y est : l'Afrique, les multinationales, le néocolonialisme (cette fois sud-sud...), le libéralisme mondialisé et débridé. Sauf qu'il ne s'agit pas d'une fiction. En juillet dernier, Daewoo Logistics, filiale du groupe sud-coréen, a bien tenté de louer pour quatre-vingt- dix-neuf ans 1,3 million d'hectares à Madagascar. L'accord, révélé par le Financial Times, a contribué à l'embrasement de l'île et serait au point mort. Néanmoins, marginal il y a deux ans, ce genre d'opération s'est amplifié en 2008, sur des millions d'hectares, en Asie et en Afrique surtout, mais aussi en Argentine ou en Ukraine. A tel point que Jacques Diouf, le secrétaire général de la FAO, l'agence de l'ONU pour l'agriculture et l'alimentation, parle d'un risque de « néocolonialisme agraire ».

Le « landgrabbing », comme l'appellent les Anglo-Saxons, autrement dit l'« accaparement de terres », n'est pas nouveau. « Il y a eu les concessions coloniales, rappelle l'agronome Marc Dufumier. Plus récemment, des entreprises, française comme Michelin, producteur de caoutchouc au Nigeria ou au Cambodge, et américaine comme Dole, spécialisé dans les fruits, ont acheté ou loué des terrains pour une très longue durée - en général, quatre-vingt-dix-neuf ans. Mais les surfaces dépassaient rarement une dizaine de milliers d'hectares. Aujourd'hui, les superficies sont plus importantes, le mouvement s'accélère et n'a jamais été autant mondialisé. » Car les acheteurs ont changé. A la place des Occidentaux d'hier, voici venus des pays émergents, peuplés et sans beaucoup de terres (Chine, Corée du Sud), et des pays secs, déficitaires en denrées alimentaires mais gorgés de pétrodollars (pays du Golfe). Les Jordaniens ou les Malaisiens font leurs courses au Soudan ; la Chine - 22 % de la population mondiale, mais seulement 7 % des terres cultivées, qui ne cessent de diminuer à cause du développement urbain et d'un modèle agricole dévastateur - achète en Russie, au Laos, au Mozambique ou aux Philippines. Autant d'accords dont on sait peu de chose tant ils sont discrètement négociés, mais qui sont présentés comme « gagnant-gagnant ». Les acheteurs mettent en avant le fait qu'ils apportent l'argent, les tracteurs, les systèmes d'irrigation. « Ça paraît plus civilisé que sous la colonisation : les entreprises fonctionnent à coups de carnets de chèques et pas de baïonnettes, note l'économiste Bruno Parmentier. Et il est probable, vu les investissements et les techniques employées, qu'on produira plus de nourriture sur ces terres. La question est : que vont-ils produire, comment et pour qui ? Si l'argent et la technique suffisaient pour faire de l'agriculture durable, ça se saurait : on ne compte plus les échecs en ce domaine. »

En tête des motivations des acquéreurs : la sécurisation des approvisionnements pour les populations, mais aussi les cochons et les poulets d'élevage... « Ce sont les gouvernements qui agissent à visage découvert ou par le biais de fonds souverains », détaille Alain Karsenty, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Mais il y a aussi les voitures qu'il faut penser à nourrir ! « On retrouve alors des sociétés privées spécialisées, avec des logiques spéculatives, précise Alain Karsenty. Et là, les forêts se retrouvent souvent en première ligne. Elles sont moins peuplées et coûtent moins cher que les terres cultivées. Et puis, 1 hectare déforesté pour du palmier à huile rapporte quatre à cinq fois plus qu'une forêt exploitée pour son bois. » Cette forme de landgrabbing est déjà largement à l'oeuvre dans les forêts d'Amazonie ou de Bornéo, et les premiers signes de son extension au Bassin du Congo apparaissent.

Enfin, si le phénomène se développe tous azimuts, c'est parce que « la conjonction des crises alimentaire et financière a transformé les terres agricoles en un nouvel actif stratégique », résume l'ONG Grain. George Soros investit dans les agrocarburants avec son fonds Quantum et devient propriétaire de 225 000 hectares en Argentine, via le latifundium Adecoagro. Morgan Stanley achète plusieurs milliers d'hectares en Ukraine. Le géant américain BlackRock s'apprête à investir plusieurs centaines de millions de dollars, de l'Afrique subsaharienne à l'Argentine.

Pourquoi pas, si ces investissements permettent d'installer de meilleurs systèmes d'irrigation ? Si ces « partenariats » permettent de concilier les intérêts des gouvernements locaux et des paysans ? A la FAO, l'expert en régimes fonciers Paul Mathieu reste prudent. « Pour l'instant, on n'en sait rien. C'est d'autant plus difficile de se prononcer que la majorité de ces accords se négocient dans la discrétion. Et qu'ils recouvrent une grande variété de cas de figure. » Du meilleur, quand des fonds éthiques insufflent capitaux et techniques pour un vrai processus de développement rural. Jusqu'au pire, quand l'accord exige une main-d'oeuvre importée, et une monoculture intensive menant au désastre environnemental.

« Sans compter l'éviction, souvent brutale, des populations locales, rappelle Marc Dufumier. Les paysans, les semi-nomades n'ont pas de titres de propriété mais des droits historiques puissants qui les autorisent à utiliser la terre et fondent leur identité. Or les acheteurs comme les élites gouvernementales méprisent le droit foncier coutumier et les savoir-faire agricoles locaux. Il y a aussi le niveau élevé de corruption dans ces pays. Mais attention au retour de bâton : à Madagascar comme au Brésil, il devient de plus en plus difficile de passer outre les organisations paysannes. Le risque d'émeutes est très fort. » Car 923 millions de personnes souffrent toujours de la faim, selon les derniers chiffres de la FAO. Et près des trois quarts d'entre eux sont... des paysans qui n'arrivent pas à produire pour eux ou qui se sont spécialisés dans l'agriculture d'exportation ! Pourtant, la production agricole mondiale est en excès : nous produisons 300 kilos par habitant et par an, quand 200 kilos sont nécessaires pour nourrir la population mondiale. « La faim existe même dans des pays excédentaires, car c'est la pauvreté qui en est la cause, pas le manque global, insiste Bruno Parmentier. Il devient urgent d'assurer une souveraineté alimentaire en encourageant l'agriculture vivrière. »

En attendant, le landgrabbing progresse. « Le premier outil à proposer, dit Paul Mathieu, c'est d'insister sur plus de transparence, une bonne information de tous, pour des négociations équilibrées. » La FAO s'apprête à sortir ces jours-ci un mode d'emploi sur la bonne gouvernance foncière. Histoire que le nouveau droit foncier de Madagascar ne soit pas défini par Daewoo Logistics. Et que les petits paysans du Sud participent enfin au débat .

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Re: Main basse sur la Terre

Message par Alter Egaux » 14 mars 2009, 22:57

Effectivement, c'est probablement la tendance la plus forte à une troisième guerre mondiale.
C'est en effet l'explosion des frontières pour l'appropriation de la terre sur versement financié, probablement remis en cause très rapidement par les peuples trahis par ses élites.
Je pense en effet que c'est le malheureusement une trahison de plus des élites corrompues, qui veut justifier une révolte violente des peuples spoliés de leur territoire, avec un effet boule de neige garanti.
Bravo, Tovi, d'avoir remarqué ce tournant dans l'histoire des nations, un tournant des plus inquiétants.

Que ce passera t il, lorsque un gouvernement qui aura renversé le précédent dénonce les accords passés ? Une guerre ? 10 guerres ?

Nous pouvons dire aujourd'hui que la guerre des terres arables vient de prendre sa forme palpable.
Etape n°1 : Les africains nomment le pétrole : la "merde" du diable.
Etape n°2 : Restons cool, le PO arrive...
Etape n°3 : "Mais à cet endroit, en ce moment, l'humanité, c'est nous, que cela nous plaise ou non", Samuel Beckett

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Re: Main basse sur la Terre

Message par stephp » 14 mars 2009, 22:59

Tovi a écrit :Pour mémoire, la situation à Madagascar provient de la vente d'un million d'hectares de bonnes terres agricoles à la Corée du Sud.
Pour info cette "vente" qui consistait en fait en un prêt (avec divers contreparties), de 1.3 millions d'hectares non exploités actuellement ne s'est jamais conclue et en est restée au stade des discussions. La crise politique actuelle à Madagascar met d'ailleurs fin à ce projet. [Aussi la crise actuelle ne vient pas directement de ce projet, qui n'est qu'un prétexte, mais de raisons plus bassement (géo)politiques où les vieux démons de la Françafrique ressurgissent...]
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Re: Main basse sur la Terre

Message par Tovi » 15 mars 2009, 03:45

Oh ça il y aura certainement des politiciens pour exploiter cette rage populaire.
En revanche je ne crois pas trop à des guerres ouvertes entre nations. La guerre qui se livre est une lutte des classes à différents niveaux. Sans drapeaux. On peut y glisser de la religion ou de l'ethnique mais sur le fond l'ennemi est invisible, le pillage est organisé au nez et à la barbe des habitants qui y contribuent, ne serait-ce que comme manutentionnaires ou ouvriers.
Cette lutte existe aussi entre les campagnes et les villes de Chine. Bref, un peu partout chacun essaye de tirer la couverture à lui dans un monde de plus en plus étriqué. Ce qui a changé c'est que la richesse des uns ne fait plus forcemment la richesse des autres. Quand les ressources viennent à manquer, que ce soit l'énergie ou la nourriture, les rapports de dominations deviennent sensiblement plus tendus.

Quand la machine a des ratés, comme en cas de crise financière ou de crise alimentaire, le doute et le ressentiment envers le système augmentent. La promesse de jours meilleurs ne tient plus, l'imposture se dévoile et les ressentiments resurgissent. L'explosion peut survenir n'importe où, en Grèce comme aux Antilles, à Madagascar ou en Chine.
Comment imaginer sereinement une Afrique passant de 500 millions à 1 milliard de bouches à nourrir si déjà ils ne disposent plus de leurs terres ?? Nous avons même pillé leurs mers. Et quand je dis pillage, le mot est faible.
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Re: Main basse sur la Terre

Message par kercoz » 16 mars 2009, 18:00

Sauf erreur , la chine n'a que 7%de ses terres de cultivable.
L'Homme succombera tué par l'excès de ce qu'il appelle la civilisation. ( Jean Henri Fabre / Souvenirs Entomologiques)

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