Chine Energie: l'obsession qui fait courir Pékin
A l'occasion de la visite du Premier ministre en France, enquête sur un pays qui a mis sa diplomatie au service de son indépendance énergétique.
Par Pierre HASKI lundi 05 décembre 2005 Pékin de notre correspondant
Les dirigeants chinois sont devenus de grands voyageurs. Alors que le Premier ministre, Wen Jiabao, est arrivé hier en visite officielle en France, première étape d'une grande tournée européenne, le président Hu Jintao, qui en deux ans au pouvoir s'est rendu sur tous les continents, vient de boucler un long voyage en Asie.
Cette frénésie est bien sûr l'illustration du poids économique et politique croissant de l'Empire du milieu.
C'est aussi la conséquence d'une priorité chinoise :
garantir l'approvisionnement en énergie et en matières premières d'un pays qui, même s'il a la taille d'un empire, est de plus en plus dépendant du monde extérieur pour alimenter une machine économique lancée à pleine vitesse.
Ce besoin énergétique pousse Pékin à protéger des Etats au centre des tensions internationales, comme le Soudan ou l'Iran, parce qu'ils sont importants pour son approvisionnement.
Dans une certaine mesure, le voyage de Wen Jiabao en France n'échappe pas à cette logique : au-delà de l'inévitable gros contrat avec Airbus, il comporte un volet nucléaire qui intéresse au plus haut niveau le Français Areva.
Fragilisée.
La stratégie chinoise part d'une donnée simple : ce pays aux 9 % de croissance est devenu importateur net de pétrole et de beaucoup d'autres matières premières et prend de plein fouet la hausse vertigineuse du prix de ces denrées. La nécessité de garantir son approvisionnement énergétique a ainsi pris l'allure d'une «obsession nationale», selon un diplomate étranger. Au point que certains experts y voient une des principales sources de tensions à venir entre la Chine et les Etats-Unis.
La levée de boucliers, et finalement l'opposition de Washington, au rachat de la compagnie pétrolière américaine Unocal par la société d'Etat chinoise Cnooc, cet été, n'en a été que le premier signe visible. «Cela va s'aggraver car la perception du reste du monde est que les Chinois sont en train de foutre en l'air l'organisation du marché pétrolier», s'inquiète Jim Brock, expert américain installé là-bas depuis 1992.
La position chinoise est fragilisée par son arrivée tardive sur ce marché international. «Ils commencent seulement à apprendre les règles du jeu, quand tous les autres y sont depuis cent ans», commente Brock.
La Chine a lancé ses trois compagnies pétrolières nationales (Sinopec, CNPC, Cnooc) à l'assaut des réserves en hydrocarbures du globe. Celles-ci ont multiplié les contrats en Afrique du Nord ou subsaharienne, dans le Caucase, en Asie centrale ou au Moyen-Orient, racheté des réserves de pétrole et de gaz au Kazakhstan ou en Indonésie, déployé leurs ingénieurs et leur matériel bien loin de leurs bases arrière.
«Cela ne constitue pas encore une part significative de l'approvisionnement de la Chine, souligne Jim Brock. Elle reste dépendante du marché spot (place où l'on achète et vend des barils au jour le jour, ndlr)». D'où la volatilité de ce marché qui, selon cet expert, devrait durer encore trois ou quatre ans en raison de la demande chinoise.
D'où, également, une diplomatie de plus en plus soucieuse de ménager les Etats fournisseurs, ou susceptibles de le devenir. Le Soudan a été le premier à accueillir les pétroliers chinois, qui y travaillent activement. Résultat : Pékin protège Khartoum lorsque le dossier du génocide au Darfour vient devant le Conseil de sécurité de l'ONU (où Pékin dispose du droit de veto).
Idem avec l'Iran sur le dossier du nucléaire, Téhéran étant un gros fournisseur de pétrole brut et de gaz naturel à la Chine. Ou avec la Syrie, mise en accusation dans l'assassinat de Rafic Hariri. Et enfin avec le Venezuela de Hugo Chávez, en conflit avec les Etats-Unis, auquel Pékin apporte son soutien, en échange d'un accès à ses immenses réserves d'or noir.
Bénéfice.
Comportement pas très différent, il faut l'admettre, de celui des Français lorsque Total et Elf sont partis concurrencer les majors anglo-saxonnes en Irak ou au Nigeria dans les années 60. Ou de ce qu'Américains et Britanniques ont pu faire jadis pour s'imposer au Moyen-Orient.
Mais l'irruption d'une diplomatie chinoise au parfum de pétrole complique un peu plus le jeu international, pour le plus grand bénéfice d'Etats pétroliers, qui ne comptent pas parmi les plus démocratiques de la planète.
http://www.liberation.fr/page.php?Article=342572
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