"Il faut remettre la France au cœur de l'aviation électrique", estime l’ex-patron de l’innovation d’Airbus
Usine Nouvelle le 29/11/2018
Entretien L’ex-directeur de l’innovation d’Airbus, Jean Botti, lance un avion hybride électrique, Cassio. Son projet industriel participe à faire bouger les lignes dans le secteur aéronautique.
'Usine Nouvelle - Comment avez-vous mis en œuvre ce projet d’avion hybride électrique ?
Jean Botti - Quand Airbus a décidé d’arrêter l’avion électrique E-Fan après mon départ du groupe, je l’ai vu comme une opportunité. J’ai estimé qu’il fallait remettre la France au cœur de l’aviation électrique. J’ai démarré seul cette aventure, jusqu’à la création de VoltAero en septembre 2017. Puis j’ai formé une équipe en partie constituée d’anciens de l’E-Fan, avec certains de ses responsables comme Didier Esteyne, le créateur de cet avion, et Marina Evans qui était à la tête d’Airbus Innovations Russie, mais aussi des stagiaires. Sur les onze employés que compte aujourd’hui l’entreprise, une bonne moitié est issue du projet E-Fan. Tous sont des ingénieurs pilotes. Nous sommes aussi associés aux partenaires historiques du programme, à savoir Aéro Composites Saintonge (ACS) et Solution F.
Quelles sont vos ambitions avec ce projet d’avion hybride ?
Nous visons le marché des avions de quatre à neuf places, qui ont trois heures et demie d’autonomie et un rayon d’action de 1 200 km. Soit un marché d’environ 2 000 avions à l’échelle mondiale. C’est un projet qui nécessite un budget de 70 millions d’euros, comprenant la construction d’une usine. Elle sera située en Nouvelle-Aquitaine, car la région nous soutient, mais nous ne savons pas encore où précisément. Nous projetons de démarrer la production fin 2021, début 2022 avec à terme un volume de 150 avions par an. Au final, VoltAero sera constitué d’une équipe de 110 personnes.
Qu’apportez-vous avec cet appareil, face aux autres constructeurs de l’aviation légère ?
Le système propulsif est constitué de deux moteurs électriques à l’avant de 60 kW chacun, ainsi que de d’un moteur électrique à l’arrière de 180 kW couplé à un moteur thermique de 150 kW. Nous apportons donc une double source d’énergie, la propulsion électrique étant principalement dédiée à l’atterrissage et au décollage. L’aviation générale ne jouit pas du niveau de sécurité de l’aviation civile. Or voler avec deux sources d’énergie et être capable de les utiliser l’une ou l’autre, ou de manière combinée, permet d’améliorer le niveau de sécurité. En outre, les économies d’énergie seront de l’ordre de 15 %. Notre appareil générant moins de bruit, les possibilités de voler seront plus importantes au vu des contraintes imposées par certains aéroports. Autre point, la maintenance d’un système hybride est beaucoup moins onéreuse que pour un moteur propulsif thermique.
Quel est le calendrier de développement ?
Le premier avion Cassio 1, qui est notre démonstrateur, devrait voler fin février 2019. Nous sommes en train de transférer sur cet avion les technologies maintenant éprouvées par l’avion statique que nous appelons Iron Bird. Nous sommes partis avec l’idée d’utiliser une base d’avion existant, le Cessna 337 Skymaster, comme un banc d’essai volant, pour pouvoir rapidement démontrer la fiabilité de notre technologie. En outre, cet avion était fabriqué en France par Reims Aviation qui en a construit près d’un millier en achetant les droits. Il y a donc des connaissances en France pour réparer cet avion. Ensuite, l’avion Cassio 2 sera un prototype précurseur de l’avion de série, car on passera à ce moment-là d’un avion en aluminium à un appareil tout composite, mais qui conservera les technologies développées sur Cassio 1. La deuxième phase comprendra également un module intégrant le moteur électrique et le moteur thermique, un système que nous venons de breveter. Puis, on passera le cap de la production avec l’avion Cassio.
Êtes-vous le seul acteur français à développer un appareil hybride électrique ?
J’en connais peu d’autres, hormis Airbus et son E-Fan X avec Siemens, qui est un avion dans une catégorie complètement différente, et aussi Diamond Aircraft. La chose assez unique avec nous est d’avoir un avion qui peut être 100 % électrique ou 100 % thermique, ou les deux combinés.
Pourquoi l’E-Fan a-t-il été arrêté ?
Je ne sais pas. C’est une décision prise par Airbus une fois que j’étais parti.
Les technologies que vous développez pourrait-elle intégrer l’aviation commerciale ?
Il ne faut pas brûler les étapes. Passer de 60 kW pour l’E-Fan à 500 kW avec Cassio, c’est déjà difficile. Passer de 500 kW à 2 MW, la puissance nécessaire pour un avion commercial, c’est encore beaucoup plus difficile. En raison de la connectique, des problèmes d’interférences électromagnétiques… Mais c’est une étape préalable pour l’électrification des avions commerciaux. Elle aidera les instances de certification à se familiariser avec l’hybridation. Avec notre projet, on ne part pas complètement dans l’inconnu. Nous avons par exemple à cœur d’intégrer nous-mêmes les batteries à partir de cellules existantes et d’assurer l’encapsulation via un matériau résistant aux hautes températures et qui est déjà certifié pour l’aéronautique.
À l’image de l’auto, pourrait-on voir arriver l’équivalent d’un Tesla qui bousculerait Airbus et Boeing dans l’aéronautique ?
Dans les quinze ans, oui. En particulier pour le segment des avions de 100-150 places. J’y crois, grâce justement à la technologie hybride.
C’est votre ambition ?
Non, mon ambition est raisonnable. Mon rêve, c’est de produire jusqu’à 150 avions Cassio par an en série avec VoltAero.
Les avionneurs ont-ils conscience de cette menace ?
Je vais vous raconter une anecdote. J’ai reçu un contact fin 2006, qui m’invitait à aller écouter l’équipe qui deviendrait plus tard Space X, avant même l’arrivée d’Elon Musk. C’était un spin off de la Nasa qui voulait développer un lanceur à bas coût. En tant que CTO d’Airbus, j’avais reçu un dossier que j’avais transféré à notre activité lanceur, mais ça n’a pas été plus loin. À l’époque, on se focalisait sur Ariane 6. Aujourd’hui, Space X représente un gros défi… Un tel scénario pourrait se reproduire dans l’aéronautique. D’autres que moi doivent penser que c’est un marché que l’on peut aussi disrupter.
Quel regard portez-vous sur la manière dont est gérée la recherche chez Airbus ?
Il est dommage que la recherche centrale d’Airbus en France ait disparu. Mais quand on a les moyens et les ressources d’Airbus, on peut être capable de rattraper le temps plus vite que les autres. Il est très long de reconstruire, sauf quand on a la volonté et les moyens. Cela dépendra donc de la nouvelle équipe dirigeante du groupe.
À quoi ressemblera le secteur à l’avenir ?
L’avion électrique, qu’il soit hybride ou pur électrique, prendra de plus en plus le pas en raison des développements dans les batteries et les énergies nouvelles. On pourra voir arriver à terme des avions de ligne sans pilote, grâce à l’intelligence cognitive, grâce aux performances dans les calculateurs de bord. Il ne s’agira alors plus que d’une question de législation et d’acceptabilité. Mais les barrières technologiques auront sauté.
Propos recueillis par Pascal Gateaud et Olivier James