[Bourse] La folie de la Bourse gagne la Chine
Publié : 10 mai 2007, 22:31
Bonjour,
un article intéressant, sur l'emballement chinois:
Salariés, étudiants, femmes au foyer ou retraités : tous misent leur chemise sur les marchés financiers. Les autorités redoutent l’éclatement de la bulle spéculative.
DE PÉKIN
Une foule d’apprentis spéculateurs, désireux de profiter eux aussi de l’envolée de la Bourse, font tous les jours la queue pour ouvrir un compte à l’agence du courtier China Merchants Securities, à Pékin. Un cadre, qui distribue à tour de bras des formulaires d’inscription, assure accepter quotidiennement jusqu’à cent nouveaux clients. Des groupes de petits investisseurs, allant des étudiants aux retraités, s’agglutinent autour des terminaux informatiques pour effectuer leurs opérations, en gardant un œil sur les cours qui défilent sur de grands écrans électroniques.
La plus importante hausse du marché des actions jamais enregistrée en Chine prend des allures de bulle spéculative, et les dirigeants chinois s’en inquiètent. Si cette bulle éclatait, cela menacerait bien plus la stabilité sociale que tous les retournements de tendance enregistrés depuis seize ans qu’existe la Bourse. On dénombre actuellement plus de 91 millions de comptes détenus par des particuliers dans des maisons de courtage ou des fonds communs d’investissement. Au plus fort de la dernière flambée boursière, en 2001, il existait 60 millions de comptes mais sans doute moins de 10 millions d’investisseurs. Ils sont certainement plusieurs millions de plus actuellement. Chaque jour, près de 200 000 nouveaux comptes sont ouverts chez les courtiers, avec un pic de 310 000 au cours de la seule journée du 24 avril. Le total depuis le début de l’année s’établit à plus de 8 millions, soit 10 fois plus que pour l’ensemble de l’année 2005, lorsque le marché a commencé à se redresser après 4 années de baisse.
Parmi ceux qui se bousculent au portillon se trouve Justin Xing, un étudiant de 23 ans qui a investi 3 600 yuans [345 euros] – l’équivalent de son budget pour 6 mois –, depuis qu’il a ouvert son premier compte, dans une autre agence, il y a 2 mois. Sa mise, estime-t-il, vaut maintenant environ 4 400 yuans [421 euros]. Ce n’est pas mal, même si ceux qui se sont lancés plus tôt ont engrangé des profits plus juteux.
Certains économistes s’inquiètent de voir les prix des actions augmenter bien plus vite que les bénéfices des entreprises, à un rythme qui rappelle le Japon de la fin des années 1980, juste avant la crise. Grâce à de nouvelles introductions, la capitalisation des Bourses de Shanghai et de Shenzhen réunies atteint quelque 15 000 milliards de yuans [1 400 milliards d’euros], soit une hausse de 87 % par rapport à la fin de l’année dernière, supérieure à celle enregistrée par Hong Kong.
L’engagement croissant des catégories sociales à faibles revenus comme les étudiants et les retraités, qui s’étaient montrés plus prudents lors de la précédente hausse des cours, rendrait un krach d’autant plus douloureux. Selon Justin Xing, 20 à 30 % des étudiants en sciences économiques et en gestion boursicotent. La conférence donnée récemment à l’Université de Pékin par celui que les médias surnomment le “dieu de la Bourse”, Lin Yuan, qui prétend avoir gagné 400 millions de yuans sur les marchés d’actions depuis leur création, a attiré des centaines d’étudiants avides de copier ses méthodes. Son message : plus on commence jeune à investir, mieux c’est.
Une grande différence entre cette envolée boursière et la précédente réside dans le rôle d’Internet et de la téléphonie mobile. Justin Xing passe ses ordres sur un ordinateur portable dans sa chambre de la résidence universitaire, avec une connexion Internet à haut débit. L’équipement en haut débit de nombreux ménages depuis 4 ans a grandement facilité la participation des retraités et des femmes au foyer. Quant aux salariés qui passent leur journée à jouer en Bourse en ligne, ils sont si nombreux que certaines entreprises ont mis en place des sanctions financières, dans le but de les en dissuader. Mais beaucoup continuent à le faire en cachette et à s’échanger des tuyaux par courrier électronique, messagerie instantanée et SMS. Les utilisateurs de téléphonie mobile (c’est-à-dire tous les citadins adultes ou presque) peuvent s’abonner à des services d’alertes boursières et effectuer leurs opérations via leur combiné.
Un autre changement majeur tient à la grande quantité d’actifs qu’il est possible d’hypothéquer ou de mettre en gage pour réunir les fonds nécessaires à l’achat d’actions. Depuis la fin des années 1990, la privatisation des logements urbains a permis à un grand nombre d’habitants d’acquérir des biens immobiliers dont la valeur augmente rapidement. Et, avec des prix à la consommation qui progressent insidieusement pour atteindre 3,3 % à fin mars – le rythme le plus élevé enregistré depuis deux ans –, les taux d’intérêt réels ont été proches de zéro ou négatifs cette année. Ce qui incite les Chinois à retirer leur épargne de la banque. Dans les campagnes, explique Hou Ning, un analyste pékinois, des prêteurs dépourvus de licence aident les paysans à entrer sur les marchés avec des crédits non garantis à taux d’intérêt élevé.
Les marchés ont déjà vacillé deux fois cette année
Les dirigeants chinois sont préoccupés, mais ils hésitent sur la marche à suivre pour refroidir le marché. Une série de hausses des taux d’intérêt et le relèvement des réserves bancaires n’ont guère eu d’effet pour l’instant. Comme leurs homologues communistes du Vietnam voisin, où une bulle boursière similaire s’est développée, ils savent que les gains en Bourse satisfont la classe moyenne émergente et facilitent l’exécution d’un important programme de privatisations. Mais si des dizaines de millions de citadins y perdent leur chemise, ils risquent de retourner leur colère contre le parti.
Par deux fois déjà cette année – le 27 février et le 19 avril –, les marchés ont vacillé dangereusement alors que couraient les rumeurs d’un durcissement des mesures destinées à contrôler le flux de liquidités. La dernière crise a été provoquée par des statistiques montrant une croissance économique plus forte que prévu : au premier trimestre, la production a crû de 11,1 % par rapport à la même période de l’année dernière. Mais les marchés n’ont pas tardé à repartir à la hausse. Devant les bureaux de China Merchants Securities, un groupe d’investisseurs discute des perspectives boursières. “C’est comme un casino organisé par le Parti communiste”, explique l’un d’eux. Pour un autre, il faut être fou pour continuer d’investir. Mais personne n’envisage de reprendre ses billes.
The Economist, relayé par le Courrier International du 10 mai (pas de lien, accessible abonnés)
Commentaires des biens informés?
un article intéressant, sur l'emballement chinois:
Salariés, étudiants, femmes au foyer ou retraités : tous misent leur chemise sur les marchés financiers. Les autorités redoutent l’éclatement de la bulle spéculative.
DE PÉKIN
Une foule d’apprentis spéculateurs, désireux de profiter eux aussi de l’envolée de la Bourse, font tous les jours la queue pour ouvrir un compte à l’agence du courtier China Merchants Securities, à Pékin. Un cadre, qui distribue à tour de bras des formulaires d’inscription, assure accepter quotidiennement jusqu’à cent nouveaux clients. Des groupes de petits investisseurs, allant des étudiants aux retraités, s’agglutinent autour des terminaux informatiques pour effectuer leurs opérations, en gardant un œil sur les cours qui défilent sur de grands écrans électroniques.
La plus importante hausse du marché des actions jamais enregistrée en Chine prend des allures de bulle spéculative, et les dirigeants chinois s’en inquiètent. Si cette bulle éclatait, cela menacerait bien plus la stabilité sociale que tous les retournements de tendance enregistrés depuis seize ans qu’existe la Bourse. On dénombre actuellement plus de 91 millions de comptes détenus par des particuliers dans des maisons de courtage ou des fonds communs d’investissement. Au plus fort de la dernière flambée boursière, en 2001, il existait 60 millions de comptes mais sans doute moins de 10 millions d’investisseurs. Ils sont certainement plusieurs millions de plus actuellement. Chaque jour, près de 200 000 nouveaux comptes sont ouverts chez les courtiers, avec un pic de 310 000 au cours de la seule journée du 24 avril. Le total depuis le début de l’année s’établit à plus de 8 millions, soit 10 fois plus que pour l’ensemble de l’année 2005, lorsque le marché a commencé à se redresser après 4 années de baisse.
Parmi ceux qui se bousculent au portillon se trouve Justin Xing, un étudiant de 23 ans qui a investi 3 600 yuans [345 euros] – l’équivalent de son budget pour 6 mois –, depuis qu’il a ouvert son premier compte, dans une autre agence, il y a 2 mois. Sa mise, estime-t-il, vaut maintenant environ 4 400 yuans [421 euros]. Ce n’est pas mal, même si ceux qui se sont lancés plus tôt ont engrangé des profits plus juteux.
Certains économistes s’inquiètent de voir les prix des actions augmenter bien plus vite que les bénéfices des entreprises, à un rythme qui rappelle le Japon de la fin des années 1980, juste avant la crise. Grâce à de nouvelles introductions, la capitalisation des Bourses de Shanghai et de Shenzhen réunies atteint quelque 15 000 milliards de yuans [1 400 milliards d’euros], soit une hausse de 87 % par rapport à la fin de l’année dernière, supérieure à celle enregistrée par Hong Kong.
L’engagement croissant des catégories sociales à faibles revenus comme les étudiants et les retraités, qui s’étaient montrés plus prudents lors de la précédente hausse des cours, rendrait un krach d’autant plus douloureux. Selon Justin Xing, 20 à 30 % des étudiants en sciences économiques et en gestion boursicotent. La conférence donnée récemment à l’Université de Pékin par celui que les médias surnomment le “dieu de la Bourse”, Lin Yuan, qui prétend avoir gagné 400 millions de yuans sur les marchés d’actions depuis leur création, a attiré des centaines d’étudiants avides de copier ses méthodes. Son message : plus on commence jeune à investir, mieux c’est.
Une grande différence entre cette envolée boursière et la précédente réside dans le rôle d’Internet et de la téléphonie mobile. Justin Xing passe ses ordres sur un ordinateur portable dans sa chambre de la résidence universitaire, avec une connexion Internet à haut débit. L’équipement en haut débit de nombreux ménages depuis 4 ans a grandement facilité la participation des retraités et des femmes au foyer. Quant aux salariés qui passent leur journée à jouer en Bourse en ligne, ils sont si nombreux que certaines entreprises ont mis en place des sanctions financières, dans le but de les en dissuader. Mais beaucoup continuent à le faire en cachette et à s’échanger des tuyaux par courrier électronique, messagerie instantanée et SMS. Les utilisateurs de téléphonie mobile (c’est-à-dire tous les citadins adultes ou presque) peuvent s’abonner à des services d’alertes boursières et effectuer leurs opérations via leur combiné.
Un autre changement majeur tient à la grande quantité d’actifs qu’il est possible d’hypothéquer ou de mettre en gage pour réunir les fonds nécessaires à l’achat d’actions. Depuis la fin des années 1990, la privatisation des logements urbains a permis à un grand nombre d’habitants d’acquérir des biens immobiliers dont la valeur augmente rapidement. Et, avec des prix à la consommation qui progressent insidieusement pour atteindre 3,3 % à fin mars – le rythme le plus élevé enregistré depuis deux ans –, les taux d’intérêt réels ont été proches de zéro ou négatifs cette année. Ce qui incite les Chinois à retirer leur épargne de la banque. Dans les campagnes, explique Hou Ning, un analyste pékinois, des prêteurs dépourvus de licence aident les paysans à entrer sur les marchés avec des crédits non garantis à taux d’intérêt élevé.
Les marchés ont déjà vacillé deux fois cette année
Les dirigeants chinois sont préoccupés, mais ils hésitent sur la marche à suivre pour refroidir le marché. Une série de hausses des taux d’intérêt et le relèvement des réserves bancaires n’ont guère eu d’effet pour l’instant. Comme leurs homologues communistes du Vietnam voisin, où une bulle boursière similaire s’est développée, ils savent que les gains en Bourse satisfont la classe moyenne émergente et facilitent l’exécution d’un important programme de privatisations. Mais si des dizaines de millions de citadins y perdent leur chemise, ils risquent de retourner leur colère contre le parti.
Par deux fois déjà cette année – le 27 février et le 19 avril –, les marchés ont vacillé dangereusement alors que couraient les rumeurs d’un durcissement des mesures destinées à contrôler le flux de liquidités. La dernière crise a été provoquée par des statistiques montrant une croissance économique plus forte que prévu : au premier trimestre, la production a crû de 11,1 % par rapport à la même période de l’année dernière. Mais les marchés n’ont pas tardé à repartir à la hausse. Devant les bureaux de China Merchants Securities, un groupe d’investisseurs discute des perspectives boursières. “C’est comme un casino organisé par le Parti communiste”, explique l’un d’eux. Pour un autre, il faut être fou pour continuer d’investir. Mais personne n’envisage de reprendre ses billes.
The Economist, relayé par le Courrier International du 10 mai (pas de lien, accessible abonnés)
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