Cobalt, l’état des lieux à fin 2018
Myrtille Delamarche Usine Nouvelle le 09/01/2019
Infographie Entre 2012 et 2017, la demande mondiale de cobalt a augmenté de 30%. Une hausse largement portée par l’essor des batteries rechargeables et les espoirs de croissance du véhicule électrique. L'Usine Nouvelle et le BRGM font le point sur ce métal au cours chahuté.
Le cobalt, métal gris aux multiples applications (batteries, superalliages, aimants permanents, carbures métalliques, catalyse…), est un marché de 8,8 milliards de dollars (contre 2,7 milliards en 2014). En 2017, l’industrie mondiale en a consommé 104 000 tonnes, un tiers de plus qu’en 2012.
Une part importante de cette croissance est due à l’utilisation du cobalt dans les cathodes de batteries lithium-ion, dont il augmente la densité d’énergie et la longévité. Malgré le développement d’autres technologies de batteries comme les LFP (Lithium Phosphate de Fer) de nombre de bus électriques ou les LMP (Lithium-Metal Polymère) du groupe Bolloré, la majorité des constructeurs automobiles considèrent encore les batteries Li-ion comme le meilleur compromis entre les performances, la légèreté, la fiabilité, la durée de vie, et le coût de fabrication pour leurs futurs véhicules électriques. "Le constat est donc sans appel : le basculement vers un parc automobile à dominante électrique ne se fera pas sans une augmentation conséquente de la consommation mondiale de cobalt", affirme Gaétan Lefebvre, économiste des ressources minérales au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) dans un article récent. Voilà pour la demande.
Quid de l’offre ?
Les mines actives et en développement sont-elles à même de fournir tout ce cobalt ? Selon le BRGM, les ressources totales sont d’environ 11 millions de tonnes (Mt) de cobalt contenu, pour des réserves estimées à 3,9 Mt. Les gisements de Mutanda, Kamoto et Tenke-Fungurume, en République démocratique du Congo, représentent à eux seuls 60% des réserves et 66% des ressources mondiales.
Mais, comme dans le pétrole, le rapport ressources / demande n’a de sens qu’en fonction du coût de production et du prix de vente. Une étude de S&P sur les cash cost des principaux gisements mondiaux montre plusieurs choses. D’abord, qu’au prix moyen de 2018, tout le monde est gagnant et le cobalt sort largement de terre. Ensuite, que la baisse du cours de cette fin d’année (actuellement entre 50 000 et 55 000 dollars la tonne) commence à menacer quelques producteurs, dont la SLN, la filiale calédonienne d’Eramet qui produit, outre du nickel, un peu de cobalt. Elle n’avait pourtant pas besoin de ça. Seule la mine d’Ambatovy, à Madagascar, fait plus cher. A l’autre bout de la chaîne, avec des coûts d’exploitation compris entre 15 000 et 30 000 dollars la tonne, on retrouve tous les gisements congolais et le russe Norilsk.
Côté cours, les producteurs de cobalt ont eu une belle saison 2017-18, un peu gâchée par le refroidissement avant les fêtes. Parti de 33 000 dollars la tonne début 2017 (un niveau relativement stable depuis 2009), le cours du cobalt au LME a atteint un sommet en mars 2018, à 95 000 dollars la tonne avant de redescendre, au second semestre, dans une fourchette comprise entre 55 et 65 000 dollars la tonne. Derrière cette volatilité exacerbée, des prévisions contradictoires sur la capacité des mines à répondre à la croissance de la demande.
Du cobalt, mais quel cobalt ?
Comme dans le nickel, Encore faut-il préciser de quel cours on parle. "L’un des principaux sujets est celui de l’émergence du marché des intermédiaires (hydroxydes et sulfates de cobalt), pour lesquels la fixation des prix demeure peu transparente à ce jour", explique Gaétan Lefebvre. "Les sulfates et hydroxydes de cobalt, obtenus comme produits intermédiaires des différentes métallurgies à partir de l’acide sulfurique, sont devenus des intermédiaires recherchés pour la chimie des cathodes de batteries Li-ion. Ils représentent une part croissante des échanges de cobalt mondiaux depuis 2017."
Or, le prix de référence reste celui du cobalt métal, notamment sa cotation au London Metal Exchange (LME), la bourse londonienne des métaux. "La vente des intermédiaires était réalisée jusque-là sur la base d’un pourcentage du prix du métal (discount). Ce schéma n’est plus adapté", affirme Gaétan Lefebvre. "Il est remis en question à la fois par les producteurs et les consommateurs demandant une meilleure transparence des prix pour une qualité donnée d'intermédiaires."
Le différentiel de prix entre les deux produits est encore très important. "Il s’explique par les étapes de transformation supplémentaires pour l’obtention de cobalt métal, donc la valeur ajoutée correspondante. Or, la cotation des sulfates étant liée à celle du cobalt métal, la baisse de l’un ou l’autre a pour effet d’inciter les producteurs à contrôler les quantités mises sur le marché pour tenter d’influencer les cours." Gaétan Lefebvre préconise donc une cotation différenciée par qualité, qui limiterait la spéculation. Le LME a, justement, annoncé une évolution de la cotation pour 2019-2020, avec la mise en place de contrats cash-settled (sans stocks physiques de métal associés).
Côté coûts, les producteurs de cobalt opérant en RD Congo ont tout de même dû encaisser une mauvaise nouvelle. Le pays a révisé son code minier, et rehaussé les taxes sur le cobalt désormais considéré comme "stratégique" pour le pays (une appellation qu’on ne peut pas démentir). Bien que premier producteur du métal, le pays figure toujours parmi les plus pauvres de la planète.
Travail des enfants : une "simplification outrancière"
Des labels permettant de différencier le cobalt éthique (hors zones de guerre, sans travail des enfants) sont également évoqués régulièrement. Une démarche vertueuse pour mettre fin à des pratiques dénoncées à juste titre, notamment par Amnesty International, mais plus compliquée qu’il n’y paraît. "La médiatisation et la simplification outrancières de ce sujet vont parfois à l’encontre d’une compréhension plus fine des mécanismes sur place, voire des solutions à y apporter", nuance Gaétan Lefebvre. L’économiste rappelle que la géologie des gisements en République démocratique du Congo (plus de 60% de la production mondiale) et leur concentration les rend faciles à exploiter sans machines industrielles, et que le travail des enfants et l’exploitation artisanale ne vont pas toujours de pair. Il rappelle également que seulement "10% à 20% de la production de cobalt de RD Congo est d’origine difficilement traçable", ce qui signifie que 80% de cette production est issue des mines industrielles exploitées entre autres par Glencore et China Molybdenum.
Le gouvernement congolais "estime que 5000 à 25000 tonnes de minerai seraient produites annuellement par des mineurs artisans" et captées par des "négociants", explique Gaétan Lefebvre. Souvent chinois, ces négociants sont en réalité "des acteurs industriels en mesure de réaliser les premières étapes de métallurgie, c’est-à-dire de produire des concentrés ou des intermédiaires sous forme d'hydroxydes Co(OH)2", en intégrant une partie du minerai d’origine artisanale dans du minerai d’origine industrielle. "Toute traçabilité est alors perdue", conclut le BRGM.