Bonjour,
Je ne sais pas trop où en sont les positions des différents intervenants de ce formum sur la question de la "création monétaire".
Je vais donc me permettre de faire un tout petit point, sans me retrancher derrière les mânes de qui que ce soit, que ce soit Schumpeter, pour qui j'ai le plus grand respect, Maurice Allais (idem), Hollbecq ou Jorion.
Comme le disait, paraît-il, le Maréchal Foch, de quoi parle t'on?
De la monnaie, bien sûr: et surtout de la question "d'où vient l'argent".
Juste avant, deux acceptations possibles, concrètes (je n'ose dire "trébuchantes") de la monnaie:
a)
la monnaie est la monnaie "centrale", qui prend la forme physique de billets de banque (je laisse tomber les pièces, qui représentent moins de 1% de cette monnaie, dite aussi "fiduciaire")
b)
la monnaie est la monnaie "scripturale", ou plus exactement celle qui est comptabilisée dans les comptes à vue - ou dépôts à vue - des comptes bancaires.
Ces deux monnaies, certes très différentes concrètement (entre la monnaie "papier-monnaie" et la monnaie "écriture", pas de confusion technique possible), ont des
propriétés communes, les trois plus importantes étant (je vais prendre, pour simplifier et/ou concrétiser, l'exemple de l'euro):
a)
unité de compte (mon dernier ordinateur, à base de processeur Core 2 Quad8300, a un prix de 600 euros, euros billets ou euros autres)
b)
moyen universel d'échange: cher
http://www.boulanger.fr, je peux l'acheter, par paypal, par carte ou par chèque, dès lors que mon DAV est approvisionné d'au moins 600 euros.
c)
réserve de valeur: si mon épouse refuse cet achat "intempestif", je peux ne pas dépenser ces 600 euros, pour les garder pour autre chose, ou pour lui offrir plus tard des fleurs.
Quelle est donc la très grande différence - car il y en a une, entre les euros B.C. (euros Banque Centrale, ou encore Euros billets) et les euros Crédit Agricole (si j'ai mon compte dans cette banque: une seul, que certains jugent de taille, que d'autres igorent. Dans certains contextes, l'ignorance de cette différence est justifiée, dans d'autres, non.
Cette différence, c'est la
garantie attachée à ces euros, certains parlent ausi de "confiance".
Un billet est garanti par l'état, un euro SG ou BP ou Crédit Agricole, est garanti par "le système bancaire".
Pour le particulier, une euro B.C. (banque centrale) ou un euro (S.G.) est du pareil au même, sauf cas extrêmement rare d'une panique bancaire (arrivée concrètement moins d'une fois par siècle: de plus, en 2008/2009, tout compte à vue a été garanti à hauteur de 70000 euros).
Pour les banques, alors là, c'est le contraire:
Les banques commerciales peuvent émettre de nouveaux euros (certes pas en billets), sous réserve que leurs coefficients le liquidité, de solvabilité et d'autres "joyeusetés" soient satisfaits. Elles ont donc "intérêt" à ce que leurs clients n'utilisent pas de billets, ou euros B.C. et, si possible, restent dans leur sphère d'influence (n'aillent que chez les commerçants ayant leurs comptes chez eux). Ces banques commerciales ne peuvent pas elles-mêmes, bien sûr, émettre, ou "créer" des euros B.C., c'est à dire des billets. Ce droit est le privilège des banques centrales.
Faut-il en conclure que seule la Banque Centrale crée de la monnaie? Si c'est de la monnaie "centrale", des euros B.C., par définition, c'est évident. Si c'est de la monnaie "en général", bien sûr que non.
Les banques commerciales sont évidemment contraintes par la politique monétaire de la B.C. Est-ce dire qu'elles ne peuvent rien faire? Là encore, la réponse est non, bien évidemment.
A l'intérieur de certaines limites, évolutives (hélas) les banques commerciales peuvent émettre de la nouvelle monnaie (scripturale). Pour Dupont, ou votre serviteur, sur son DAV, le fait qu'il ait 50000 euros disponibles ne lui permet pas de distinguer les euros qui proviennent de la B.C. ou les euros qui viennent du Crédit Agricole, de la Société Générale ou de la BNP.
Il y a un certain jeu de dupes: les banques commerciales et la B.C. se tiennent un peu par la barbichette: ce sont les banques commerciales qui, au su et au vu des demandes de leurs clients, vont émettre de nouveaux crédits, et le plus souvent de nouveaux euros "particuliers", et vont parfois réclamer de "vrais" euros, c'est à dire des euros B.C., pour rester dans les limites réglementaires (je suppose ici, pour simplifier, que la banque ne va pas chercher ces euros B.C. auprès de confrères). La B.C. peut refuser, ce qu'elle ne fait pas toujours, ou pas souvent, cela dépend du contexte économique, du poids de la banque, de l'influence du banquier, etc.
Mais, inversement, la B.C., quand elle se met en tête d'émettre de nouveaux euros, des "vrais" euros, c'est à dire des billets, va demander la permission (ou forcer la main, là encore, cela dépend du contexte) aux banques commerciales ou à d'autres établissements financiers:
messieurs les financiers, acceptez vous (carotte) ou acceptez (bâtons) de prendre en pension ces bons du trésor, ces "reconnaissances de dettes", en échange des billets nouveaux que je vais créer...
Voilà l'état de la question élémentaire: "qu'est ce que l'argent", dans laquelle je me suis efforcé de véhiculer le moins possible d'idéologie (tâche presque impossible il est vrai lorsque l'on parle du nerf de la guerre, à savoir l'argent).
Bien à vous,
B.L., professeur d'économie à HEC, Paris.