L'Ile-de-France, nouveau terrain de jeu du chanvre
AFP•09/10/2019
Dans le village de Maisoncelles-en-Brie, en Seine-et-Marne, la récolte du chanvre qui a débuté en septembre est sur le point de s'achever et l'odeur qui se dégage des plants se confond à s'y méprendre avec celle de son cousin cannabis.
Les tiges vertes s'élèvent jusqu'à trois mètres et donnent une impression de forêt tropicale, un décor qui détonne dans ce coin céréalier d'Ile-de-France.
Depuis quelques années, la culture du chanvre revient au goût du jour dans la région et la filière s'organise pour offrir des débouchés variés à cette plante ancestrale comme dans la construction automobile, l'alimentaire ou encore le cosmétique.
"La principale différence avec le cannabis est que le taux de THC est inférieur à 0,2% donc on peut très bien le fumer, ça ne fera aucun effet", averti Eric Grange, directeur de Planète Chanvre, entreprise qui récolte et transforme la plante.
"Facile à cultiver", le chanvre a "un fort intérêt agronomique", explique Franck Barbier, agriculteur francilien et président de Planète Chanvre. "Une fois semée, la plante ne demande pas d'intervention humaine jusqu'à sa récolte, aucun produit phytosanitaire n'est nécessaire, pas besoin d'eau non plus et elle étouffe les mauvaises herbes." Une plante qui se conduit comme un "aspirateur des sols".
Ainsi, une culture de blé peut gagner "jusqu'à 10% de rendement" après le passage du chanvre, indique Rémi Baudouin, conseiller à la chambre d'agriculture d'Ile-de-France.
Ces arguments ont séduit près de 200 agriculteurs franciliens qui y consacrent 2.200 hectares, principalement en Seine-et-Marne et dans l'Essonne. La superficie a doublé en 8 ans, précise la chambre d'agriculture, alors que cette culture avait disparu des parcelles franciliennes jusqu'en 2008.
- "Tout est bon dans le chanvre" -
Le chanvre était autrefois utilisé pour les cordages, "on parle de Christophe Colomb et d'autres qui ont traversé les océans grâce au chanvre", raconte M. Grange. "Ensuite, le coton est arrivé et c'est une industrie qui a disparu."
Désormais, les enjeux environnementaux poussent les grands industriels à se pencher à nouveau sur cette plante écologique qui pourra "faire vos jeans de demain", assure-t-il.
"Tout est bon dans le chanvre": la graine appelée chènevis est riche en omégas 3 et 6, elle a un goût de noisette et peut se consommer telle quelle; on retrouve aussi le chanvre sous forme de farine, d'huile et de crème cosmétique.
La fibre, partie extérieure de la tige du chanvre, est utilisée dans la papeterie, le textile ou encore la plasturgie.
"On allège une voiture en réalisant l'intérieur de la porte en chanvre. Le véhicule sera moins consommateur en essence ou en diesel. C'est ce que recherchent aujourd'hui les grands de l'automobile", explique M. Grange, dont la société équipe des constructeurs allemands.
- Béton de chanvre -
Quant à la chènevotte - le coeur de la tige -, elle permet de fabriquer du béton de chanvre lorsqu'on la mélange à la chaux. "Le procédé n'est pas nouveau, au Moyen-Age on l'utilisait pour réaliser les murs des maisons de maîtres", raconte Sébastien Burin, gérant d'une société spécialisée dans la construction en chanvre.
Le dernier projet du jeune trentenaire est la construction d'une école de 1.700 m2. "Ce n'est pas juste de la bricole dans un coin de campagne, on fait de gros bâtiments avec des procédés écologiques et respectueux de l'environnement", défend l'artisan.
Sur son chantier aux airs de cuisine expérimentale, le béton de chanvre fabriqué sur place est projeté directement sur l'ossature en bois. En à peine quelques heures, trois murs sont érigés.
Le chanvre a sa carte à jouer en Ile-de-France, "important bassin alimentaire et de construction", estime le conseiller agricole Rémi Baudouin, mais les investissements sont lourds: la production coûte peu mais les outils de transformation sont élevés, notamment la ligne de défibrage qui permet de séparer les différentes parties du chanvre.
Il faut compter "5-6 millions d'euros au démarrage et le rendement reste faible par rapport à des cultures comme le blé ou le colza qui dominent le paysage francilien", précise M. Baudouin.
Pour la filière chanvre régionale, "le retour du chanvre répond aux attentes de la société". Elle appelle les pouvoirs publics, les élus, les organismes d'aménagement urbain à "s'emparer de la question et imposer cet outil biosourcé dans les cahiers des charges des appels d'offres publics".
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Un temps délaissé, le chanvre revient par la grande porte du BTP
AFP•09/10/2019
La culture du chanvre industriel a failli disparaître en France, mais elle a été relancée par les nouveaux usages, dont l'isolation des bâtiments et les bioplastiques, pour fournir des industries friandes de matériaux à faible empreinte écologique.
La culture du chanvre a occupé jusqu'à 176.000 hectares en 1860, principalement pour faire de la toile et du papier, mais était tombée à 700 hectares en 1960. Aujourd'hui, le chanvre est cultivé par près de 1.500 agriculteurs sur 17.000 hectares. Les six chanvrières hexagonales, privées ou coopératives, transforment et commercialisent 100.000 tonnes de fibre.
Cavac Biomatériaux, filiale de la coopérative vendéenne du même nom, a ainsi installé sur la commune de Sainte-Gemme-la-Plaine, près de Luçon, une usine qui lui permet de transformer la matière première en isolants, en vrac ou en panneaux, pour fournir directement le secteur du bâtiment.
Il y a 12 ans, la Cavac "voulait aller vers l'aval en créant une filière industrielle pour trouver des débouchés aux produits de ses coopérateurs" et ainsi capter la valeur ajoutée, explique son président Jérôme Cailleau.
"Le chanvre s'est imposé", raconte-t-il, d'abord pour ses propriétés agronomiques: c'est une culture annuelle qui permet d'alléger le temps de travail des agriculteurs, et pousse sans pesticides ni irrigation.
"Le chanvre s'intègre parfaitement dans le système de rotation" des cultures, assure Jean-Marie Gabillaud, agriculteur en Vendée, car "le champ est plus propre et le rendement est supérieur sur la culture d'après".
Autre argument en faveur du chanvre, la possibilité de se diversifier avec une filière non alimentaire, renouvelable, qui capte le CO2, "tout en répondant à la montée du goût pour les matériaux naturels", souligne le président.
"En 2009, nous sommes partis de zéro", tout était à construire dans la filière, de l'apprentissage des méthodes de production par les agriculteurs au traitement industriel. Entre la crise du bâtiment, l'incendie du bâtiment et les difficultés à obtenir un certificat de production, les débuts ont été difficiles, témoigne Olivier Joreau, directeur général adjoint de la Cavac.
- fibre et chènevotte -
Aujourd'hui, environ 150 coopérateurs cultivent 2.000 hectares de chanvre dans un périmètre de 100 kilomètres autour de l'usine. Celle-ci emploie 45 salariés et produit 15.000 tonnes d'isolants et autres co-produits par an.
Les balles de chanvre sont passées à plusieurs reprises dans des machines qui séparent la fibre de la chènevotte, la partie intérieure rigide de la tige, qui permet notamment de faire du béton de chanvre.
La fibre est pour sa part mélangée à un liant, affinée, peignée, et cuite. Elle est ensuite conditionnée en rouleaux ou en plaques d'épaisseurs variables d'isolant prêt à poser.
"L'outil de production tourne", assure M. Joreau qui se dit "très confiant dans l'avenir".
Depuis la création de l'usine, l'évolution des réglementations concernant les bâtiments basse consommation et la meilleure prise en compte de l'empreinte carbone des matériaux jouent pour l'isolation en chanvre.
Reste le problème du surcoût que représente ce matériau, évalué à 10% par l'interprofession.
Pour dépasser ce frein, nous "attendons des incitations financières ou fiscales de l'Etat", explique M. Joreau, car l'objectif est de "prendre des parts de marché aux isolants traditionnels" à base de matériaux non renouvelables.
Il faut aussi se faire connaître, et pour cela, l'interprofession a poussé des professionnels du bâtiments et des industriels à se porter candidats à la construction du village olympique à Saint-Denis et des bâtiments pour la presse au Bourget pour les jeux Olympiques de 2024.
"L'idée est d'utiliser ces bâtiments, qui ne nécessitent ni climatisation ni chauffage, comme vitrines du savoir faire" de la filière, indique la directrice d'InterChanvre Nathalie Fichaux.
"Faire entrer dans les têtes que le confort d'été est aussi important que le confort d'hiver, et choisir les athlètes pour en faire la démonstration, ce serait formidable", souligne le président de l'association Construire en Chanvre, Jean-Claude Daniel.
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