Les subventions au pétrole

Discussions traitant de l'impact du pic pétrolier sur l'économie.

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Tovi
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Les subventions au pétrole

Message par Tovi » 26 juin 2012, 20:00

Terra Eco
Subventions aux énergies fossiles : « Les lobbys pèsent trop sur les gourvernements »

Interview - Alors que les Etats peinent à financer l'adaptation au changement climatique, des milliards d'euros pourraient être économisés en réformant les subventions aux énergies fossiles, estime, dans un rapport, le député Vert Yves Cochet.
C’est un rapport qui dérange : « Fossil fuel subsidies and government support in 24 OECD countries » fait le point sur les subventions versées aux énergies fossiles par les gouvernements dans 24 pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Les chiffres laissent sans voix : alors que les gouvernements rechignent à verser les 100 milliards de dollars annuels (78,6 milliards d’euros) qu’ils avaient promis à la conférence sur le climat de Copenhague en 2009, et ce afin de financer l’adaptation au changement climatique, plus de 750 milliards de dollars de fonds publics (590 milliards d’euros) sont dépensés chaque année pour soutenir la production et la consommation d’énergies fossiles...

L’eurodéputé Vert Yves Cochet, qui a réalisé ce rapport avec Elise Buckle, directrice de SustainEnergy, a répondu aux questions de Terra eco.

Terra eco : Votre rapport met en évidence un gouffre entre les sommes investies dans les subventions aux énergies fossiles et les sommes qu’on peine à trouver pour financer l’adaptation au changement climatique, notamment le développement des énergies renouvelables. Quel est votre sentiment face à ce constat ?

Yves Cochet : Je suis immensément stupéfait ! Quand nous avons commencé nos recherches, on ne le croyait pas : l’estimation mondiale des subventions aux énergies fossiles est énorme ! Et encore, cette estimation est minimale : elle ne concerne que 24 pays parmi ceux de l’OCDE, et elle est basée sur ce que les gouvernements ont bien voulu nous dire... Autrement dit, ces subventions sont sûrement bien plus importantes.

Les déclarations des gouvernements affirmant vouloir s’engager dans une réelle transition énergétique s’en trouvent-t-elles écornées ?
C’est certain que d’un côté, on condamne les énergies fossiles, et de l’autre, on les subventionne largement... On se rend compte à quel point les grands lobbys – pétroliers, charbonniers et gaziers – pèsent. Comme Total, qui est de loin la plus grande entreprise en France. Les lobbys sont tellement forts que les gouvernements sont capables de donner des sommes énormes sans penser plutôt à changer leur politique. Cela révèle aussi un autre modèle mental, avec des gouvernements qui pensent qu’il faut s’intéresser à l’environnement, à la protection de l’air, de l’eau, des forêts, mais tout ceci n’est rien par rapport au soutien qu’ils apportent aux énergies fossiles.
Les subventions versées aux énergies fossiles sont de plusieurs ordres : elles touchent les prix, la production ou encore la consommation. Comment sont-elles justifiées ?

En ce qui concerne la production, elles sont totalement injustifiées. Les compagnies pétrolières font déjà énormément de profits ! Pour la consommation, elles sont plus compréhensibles : il y a des professions qui sont vulnérables à un prix du litre qui augmente trop vite. Je pense aux agriculteurs, aux taxis... Quant aux prix des énergies fossiles, notamment à la consommation, il serait temps de comprendre que ces énergies-là vont devenir moins abondantes et plus chères. Il n’y a donc que des bénéfices à débuter une transition et à réformer les subventions : des bénéfices financiers d’une part, mais bien sûr aussi écologiques. Or, on le voit bien avec les échecs successifs des conventions qui s’attaquent à la question climatique, tout cela n’est pas suffisamment pris au sérieux.

En 2009, à Pittsburgh, les dirigeants du G20 s’étaient engagés à éliminer progressivement les subventions inefficaces aux combustibles fossiles. Que s’est-il passé depuis ?

Cela fait partie de ces grandes déclarations politiques mais qui ne sont pas juridiquement contraignantes : elles donnent des espoirs mais en réalité, elles ne sont pas mises en œuvre. En publiant ce rapport avant le G20 de Los Cabos au Mexique, et RIO+20, qui est en train de se terminer, au Brésil, on espérait que cela pourrait avoir un impact. Mais nous sommes déçus, ça ne va rien donner... Les problèmes écologiques sont de plus en plus aigus : cette conscience-là progresse. Mais dans le même temps, ce qu’on observe à l’issue des récentes conférences climatiques, de Copenhague, Cancún, Durban, c’est qu’il y a une régression par rapport à 1997, l’année du Protocole de Kyoto. Même Rio+20 est moins fort que le Sommet de la Terre de Rio en 1992 ! Les conventions climatiques perdent du pouvoir. Tout cela, bien évidemment, sous des prétextes de crise économique. Si l’on changeait la donne, il y aurait effectivement moins de croissance, mais elle serait plus heureuse.

Dans votre rapport, vous préconisez la création d’une instance internationale capable de réformer ce système de subventions aux énergies fossiles. Comment pourrait-elle s’articuler pour reprendre ce pouvoir que d’autres instances onusiennes peinent à exercer ?

C’est une évidence que les instances onusiennes aujourd’hui ne convainquent plus les gouvernements. L’ONU devrait avoir plus de pouvoir contraignant sur les gouvernements, mais le nationalisme l’emporte actuellement sur l’international... Lorsque nous avons présenté ce rapport à Bruxelles, des représentants d’une vingtaine de pays étaient là pour former ce qu’ils appellent « le Club des amis de la réduction des subventions aux énergies fossiles ». Ils espèrent faire office de pré-instance onusienne et s’élargir en faisant progressivement rentrer dans leur groupe d’autres pays. Pour certains, ce positionnement est évident : le Costa Rica, par exemple, n’est ni un producteur ni un gros consommateur.

Il y a aussi des pays comme le Mexique, dont les champs de pétrole s’amenuisent et qui sont fortement concurrencés par les pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole. Ils disent qu’au moins pour la production, il faudrait qu’il y ait moins de subventions. C’est sûr que, quelque part, cela s’appuie tout à la fois sur des arguments à la fois écologiques mais aussi libéraux : laissons les marchés faire et on verra si les énergies fossiles sont toujours aussi concurrentielles face aux énergies renouvelables ! Avec 750 milliards de dollars (592 milliards d’euros) de subventions annuelles, elles se porteraient en tout cas sûrement mieux...
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Re: Les subventions au pétrole

Message par sceptique » 27 juin 2012, 15:32

Il y a quand même qq chose qui m'intrigue dans les subventions à la production.
Un exemple donc.
Un Etat pétrolier subventionne une compagnie à hauteur de disons 100 M$ pour chercher et mettre en production un nouveau gisement ou améliorer un ancien. Puis, la compagnie produit 10 Mb que l'Etat lui achète a disons 20$ par baril (parfois beaucoup moins). Et s'empresse de le revendre sur le marché mondial à 100$.
Bilan : subvention : 100 M$ retour : 80$/b * 10 Mb = 800 M$

Ce n'es t pas une subvention mais en fait un investissement !

Les énergies renouvelables ne peuvent avoir un tel retour sur investissement.

Il faudrait donc voir ce qui ce cache derrière les chiffres indiqués. Car, pour un contribuable, des "subventions" comme ci-dessus ce n'est pas la même chose que des subventions au photovoltaïque qui lui est en grande partie une perte sèche.

Philippe
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Re: Les subventions au pétrole

Message par Philippe » 28 juin 2012, 00:08

Les subventions à l’industrie pétrolière amont (recherche et exploitation) doivent être explicitées. Il me semble qu’il n’y a qu’une seule vraie forme de subvention, qui est l’autorisation fiscale de passer en charges les dépenses d’exploration ou de développement stériles. Ca se fait directement sur la déclaration fiscale en France, aux USA, au Canada, probablement en Norvège et aux Pays-Bas, et dans quelques autres pays dont les contrats pétroliers le prévoient. Le passage en charges, comptable, d’un forage sec permet de réduire l’impôt à payer à l’Etat (en France, 33,33% du coût d’un forage négatif sont ainsi financés par le contribuable, puisque ce taux est celui de l’impôt sur les sociétés), pour autant évidemment que la société gagne de l’argent par ailleurs. Colin CAMPBELL parle de cette « subvention » dans ses newsletters, notamment pour la Norvège (point 129 de la lettre d’information n° 25, dans lequel il écrit que les sociétés étrangères « were effectively spending “10-cent dollars”, enjoying a colossal unseen subsidy »).

Ce n’est pas le cas dans tous les pays, au contraire. Généralement, les multinationales signent, avec les Etats, des contrats pétroliers définissant avec une grande précision la façon dont les hydrocarbures extraits seront partagés entre l’Etat et le contracteur (la société privée ou publique qui réalisera les travaux en les finançant en totalité). Ces contrats comportent une clause de « ring fence » : les pertes réalisées sur un permis ne peuvent pas être déduites des profits réalisés dans un autre permis du même pays. Seules peuvent être passées en charges les dépenses stériles d’un permis sur les profits du même permis, le cas échéant. Ces contrats pétroliers prévoient un partage des hydrocarbures qui ressemble à ça (les pourcentages sont négociés permis par permis) : une redevance payée en nature à l’Etat (de l’ordre de 10% à 15%). Sur ce qui reste, un certain pourcentage est attribué au contracteur (souvent 60% des hydrocarbures, parfois moins, appelé le Cost Oil) pour qu’il récupère les dépenses engagées dans le permis – productives ou stériles – dont la comptabilité est parfaitement tenue et scrutée par l’Etat. Même les dépenses relatives à l'abandon et à la remise en état ultimes des sites sont récupérables par anticipation sur le Cost Oil alors que l'exploitation est encore profitable, et séquestrées pour justement réaliser ces travaux d'abandon le moment venu. Le reste est appelé Profit Oil, qui devient prépondérant lorsque toutes les dépenses d’investissement ont été récupérées, une situation connue sous le nom de « full cost recovery », et est partagé suivant une clé de répartition explicitement mentionnée dans le contrat (ça va de 20% à 50% des hydrocarbures du Profit Oil pour le contracteur, et le solde à l’Etat ; les pays avec un grand potentiel pétrolier, Venezuela, Libye, Algérie, etc. offrent des taux de 20%, ceux qui s’ouvrent sans avoir un grand historique pétrolier offrent de meilleurs taux, comme on peut imaginer que c’est le cas pour la Mauritanie, le Ghana, l’Ouganda, la Namibie, etc.). Il n’y a pas vraiment de subvention là-dedans, bien au contraire, l’Etat se taille la part du lion. Dans certains cas, le contrat de partage de production prévoit même qu’une partie de la part d’hydrocarbures revenant au contracteur soit vendue sur le marché domestique, à un prix de braderie, pour permettre au consommateur local de continuer à bénéficier de carburants à bas coûts (la subvention ne va pas dans la poche à laquelle on pourrait penser).

Il reste aux sociétés multinationales à optimiser leurs comptes de profits et pertes au niveau mondial. C’est là que les dépenses stériles non passées en charges dans un pays peuvent être remontées dans une structure-mère, qui, elle, peut consolider au niveau mondial les différents profits et pertes réalisés de par le monde. Les sociétés de type bv des Pays-Bas, par exemple, permettent cette opération.

Est-il logique/sain/moral d’effacer les pertes de certains projets contre les profits réalisés sur d’autres projets, effacement qui doit représenter l’essentiel des subventions dont il est question ? Chacun aura sa réponse. La mienne est qu’il ne me choque pas qu’une société commerciale efface les pertes sur une ligne de produit qui ne marche pas (une bagnole, un cosmétique, une lessive, un software) contre les profits réalisés sur les bagnoles, cosmétiques, lessives ou softwares qui cartonnent. J’accepte volontiers que l’on ne partage pas mon avis, mais je préférerais qu’on le fît pour tout le monde.

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Re: Les subventions au pétrole

Message par sceptique » 28 juin 2012, 12:14

Merci Philippe pour ce post près précis.

Je me doutais bien que ces "subventions" n'étaient pas réelles et en tout cas pas comparables ni transférables aux énergies renouvelables.

D'ailleurs dis moi si je me trompe mais, si on interdisait mondialement ce genre de pratiques cad de pouvoir amortir des pertes sur une zone avec les gains sur une autre je pense que les compagnies seraient beaucoup plus frileuses pour investir !
Autre point intéressant : certaines compagnies investissent dans les ENR à perte. Pas trop grave car elles peuvent déduire ces pertes. Que deviendrait ces investissements si ces pertes ne peuvent plus être amorties ?

Le mécanisme est marrant (guillemets importants) :
"subvention" au pétrole -> investissements dans les ENR
plus de "subvention" au pétrole -> plus d'investissements dans les ENR
:-D

Philippe
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Re: Les subventions au pétrole

Message par Philippe » 28 juin 2012, 18:09

Est-ce qu’il se ferait autant de forages d’exploration s’il n’y avait pas la possibilité de déduire les pertes sur les profits réalisés ailleurs ? Difficile de répondre. Probablement qu’il ne s’en perdrait pas tant que ça. La décision de réaliser une opération risquée (un forage d’exploration) se prend comme au poker, sur l’espérance mathématique de gain. On sait à peu près combien l’opération va coûter (prix du forage, appelons le P, après la déduction fiscale en cas d’échec le cas échéant). La société évalue les chances de succès de l’opération (CDS pour chances de succès). Elle évalue également le profit qu’elle va tirer de l’opération en cas de succès (la valeur actuelle nette, ou VAN). L’espérance mathématique de gain (EMG) se calcule comme : EMG = VAN x CDS – P x (100% - CDS). Cette espérance mathématique doit être fortement positive pour justifier l’investissement (il faut qu’en réalisant nombre de telles opérations, la société pétrolière se retrouve gagnante à la longue).

Un exemple simple : un forage au Dogger dans le Bassin Parisien, à 2 000 mètres, va coûter 3 millions d’euros. Après déduction fiscale, P vaut donc 2 millions d’euros, puisque le taux de l’impôt sur les sociétés est d’un tiers. On s’attend à trouver 5 millions de barils avec 10% de chances de succès. 1 baril a une valeur actuelle nette (actualisée à 15% par an) d’environ 15 euros. L’espérance mathématique est de 75 millions x 10% - 2 millions x 90%, soit 5,7 millions d’euros. Sans déduction fiscale, le coût réel du puits devient 3 millions d’euros et l’espérance de gain est modifiée en conséquence : 75 millions x 10% - 3 millions x 90%, soit 4,8 millions d’euros. La différence est significative, mais le projet reste attractif. La suppression de la déduction fiscale a autant d’impact que la réduction de 5 à 4,1 millions de barils du volume à découvrir, ou la diminution des chances de succès de 10% à 8,8%. L’existence d’une déductibilité fiscale n’est pas le principal facteur influençant la décision.

A noter qu’il a bien existé, en France (provision pour reconstitution de gisements, article 39 ter du Code Général des Impôts) et aux USA (depletion allowance) un mécanisme fiscal incitant à explorer le sous-sol, qui était une vraie subvention. En France, cette provision a été supprimée à la fin de l’année 2000. Elle permettait de déduire du résultat avant impôt de l’entreprise 180% du coût des forages d’exploration. Avec un taux d’imposition sur les sociétés de 50%, comme on en a connu au début des années 1980, cela revenait à faire payer 90% du coût des forages par le contribuable ! Cela explique grandement le boom de l’activité de forage en France jusqu’à la fin des années 1980 (60 forages par an en moyenne, contre une poignée de nos jours).

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