Nicolas Hulot, radicalement vert
LE MONDE | 06.10.09 | 15h56 • Mis à jour le 06.10.09 | 15h56
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Il est un constat commun, parfois un peu gêné, de la part de beaucoup des privilégiés qui ont eu le loisir d'assister, ces dernières semaines, à l'une des avant-premières du film Le Syndrome du Titanic, de Nicolas Hulot qui sort mercredi 7 octobre sur les écrans : mais où est donc passé le "gentil" animateur de TF1 ? Qu'est devenu le gendre idéal cathodique, autrefois défenseur si raisonné et pragmatique de la cause écologique ?
Inutile de chercher, en effet, des images de nature et de grands espaces dans ce nouveau plaidoyer de l'ex-aventurier, il y en a peu. Les beautés de la planète menacées, ses paysages en dangers, ne sont presque plus son sujet. Sa caméra cette fois - du moins celle du réalisateur Jean-Albert Lièvre - balaye la planète et ses montagnes de déchets. Ausculte les villes où s'entasse plus de la moitié de l'humanité. S'effraye devant les sans-domicile-fixe de Los Angeles. Vomit le consumérisme des riches. Les accents sont tiers-mondistes, anticapitalistes, décroissants.
Un constat moins environnemental que social qui a surpris jusqu'aux sponsors du film. Bernard Emsellem, porte-parole de la SNCF, le dit avec des mots choisis : "Quand on sort de là, on se demande ce que l'individu peut faire après ça ?" Chez EDF, on note pudiquement que Nicolas Hulot "dresse un constat, (...) on est là pour fournir des solutions". L'Oréal, via la fondation Bettencourt Schueller, n'a pas souhaité faire de commentaires.
Radical, Nicolas Hulot serait donc devenu "radical" ? L'animateur écolo s'en défend, s'agace même, et répète à qui veut l'entendre : "Ce n'est pas moi qui me suis radicalisé, c'est la situation." Et d'ajouter : "Je me suis d'abord beaucoup penché sur la dimension écologique, je n'ignorais pas la dimension humaine, mais j'ai pris conscience, il y a deux ou trois ans, avec les crises qui se sont succédé, que tout était imbriqué."
Il est loin, l'aventurier casse-cou des années 1980. Celui qui dans ses interviews des années 1990 parle encore de faire "un inventaire des belles choses" "L'émerveillement est le premier pas vers le respect", prône-t-il alors. Et de balancer au Journal du dimanche, en 1995 : "Waechter et Lalonde ont une vision très triste de l'écologie alors qu'elle devrait être un sourire sur la vie."
La faute aux voyages, raconte l'animateur : "En deux ans, sur un même endroit, je pouvais voir à l'oeil nu la puissance des destructions." Le résultat d'une vraie curiosité, expliquent ses proches. Une envie de comprendre qui le pousse régulièrement vers des ouvrages qu'il dévore, annote de long en large, avant de contacter les auteurs pour en discuter avec eux.
C'est comme ça, semble-t-il, qu'il aurait peu ou prou rencontré tous ceux qui ont nourri son évolution jusqu'au film aujourd'hui sur les écrans. Un parcours que le philosophe Dominique Bourg décrit comme "une descente aux enfers". Il fut parmi les premiers, à la fin des années 1990, à répondre à ce besoin de l'animateur de mettre des mots sur ce qui n'était encore que des intuitions. "Il avait besoin de penser l'environnement dans sa dimension globale et spirituelle", se souvient celui-ci. La rencontre avec Pierre Rabhi, qui en 2002 a tenté de se présenter à l'élection présidentielle en appelant à l'insurrection des consciences au nom de l'urgence écologique, fait aussi partie de ces moments qui le transforment.
Au sein de sa fondation, le comité de veille écologique qui voit le jour en 2000 permet d'explorer toutes les questions que Nicolas Hulot juge importantes. Il s'organise d'abord autour de scientifiques, de climatologues, d'écologues, puis viennent s'y joindre quelques années plus tard des économistes, des sociologues. Il l'abreuve en permanence de rapports, de notes de synthèse. Comble les lacunes de ses connaissances.
Mais la préparation du "Pacte écologique", publié en 2006, marque le véritable tournant. Peu de temps auparavant, il a rencontré Jean-Paul Besset. Il appelle l'ancien journaliste du Monde, aujourd'hui député européen d'Europe-Ecologie, après avoir lu son livre Comment ne plus être progressiste sans devenir réactionnaire (Fayard, 2005). C'est avec lui qu'il finit de tourner le dos au modèle de développement qui fonde les sociétés occidentales depuis la révolution industrielle. "La radicalité que d'aucuns feignent de découvrir est déjà tout entière présente dans les cent premières pages du pacte", souligne M. Besset.
Ces derniers temps, Nicolas Hulot s'est également rapproché de l'essayiste Patrick Viveret qui milite depuis longtemps pour la redéfinition de la notion de richesse. C'est avec lui qu'il cherche à approfondir l'idée de "sobriété heureuse" reprise en forme d'invitation dans le film.
Aujourd'hui, Le Syndrome du Titanic s'inscrit en tout cas dans une démarche de lobbying à plein-temps de la part de Nicolas Hulot. A l'occasion du Grenelle de l'environnement, sa fondation a embauché quatre personnes pour arpenter les couloirs du Sénat et de l'Assemblée nationale. L'animateur lui-même passe beaucoup de temps à tenter de convaincre Nicolas Sarkozy ou les ministres chargés de l'environnement, aujourd'hui Jean-Louis Borloo et Chantal Jouanno, hier Nathalie Kosciusko-Morizet. De simples coups de téléphone ou carrément des après-midi de travail, ou encore le week-end.
On veut le mettre dans toutes les commissions. Il a accepté de faire partie de celle du président de la Commission européenne José Manuel Barroso pour réfléchir au sommet de Copenhague qui approche. Mais pour celle sur le "grand emprunt" confiée à Michel Rocard et Alain Juppé, faute de temps, il a préféré envoyer un de ses proches, l'économiste Alain Grandjean.
"Perdu", "découragé", "prêt à renoncer", Nicolas Hulot ne cache pas la tentation de tout lâcher qui souvent le travaille. Ce film au ton très personnel n'est pourtant pas un coup de gueule sans lendemain. Depuis quelques mois, sa fondation annonce la mutation. Le projet a été baptisé : "Evolution : chapitre 2". Et il y est question sur une tonalité clairement altermondialiste "d'oser un autre monde".
En entonnant cette nouvelle musique, l'homme que l'on s'arrache dans les dîners en ville, celui au côté duquel les patrons aiment à s'exhiber peut-il rester aussi consensuel ? Garder ce statut de médiateur qui, au travers du Pacte écologique, a convaincu les frères ennemis de la scène politique à se rassembler autour d'un projet commun ? Dans un entretien à Marianne, Daniel Cohn-Bendit en doute : "S'il continue comme cela, où va le conduire la radicalité de sa pensée ? Dire qu'il y a urgence, cela ne veut pas dire qu'il faut imposer. Le danger d'un certain argumentaire de la radicalité écologique, comme de la radicalité sociale, c'est de mettre entre parenthèses la démocratie. C'est le même problème que pose Olivier Besancenot."
Comme le reconnaît Jean-Paul Besset : "Le risque de rejet est réel. Sa petite musique devient de plus en plus incompatible avec le discours commun."
Laurence Caramel et Elise Vincent