Israéliens, Jordaniens et Palestiniens s’accordent pour « sauver » la mer Morte
Le Monde | 10.12.2013
Stricto sensu, Silvan Shalom, ministre israélien chargé de la coopération régionale, n'a pas eu tort de saluer, lundi 9 décembre, à Washington, la signature d'un « accord historique qui concrétise un vieux rêve ». Qu'Israël, la Jordanie et l'Autorité palestinienne, après plus de dix ans de discussions, trouvent un compromis pour lancer la construction d'un pipeline de 180 km reliant la mer Rouge à la mer Morte, est en soi une avancée significative à l'aune d'une coopération régionale pauvre en réalisations concrètes.
Chacune des parties a des priorités différentes dans
ce projet beaucoup plus modeste que celui envisagé à l'origine. Et de nombreuses incertitudes demeurent sur ses retombées positives pour les populations concernées, sur ses conséquences environnementales et sur son financement.
Pour Israël, c'est avant tout un moyen de s'attaquer à l'assèchement inéluctable de la mer Morte, dont le niveau baisse d'environ un mètre par an. Chaque année, quelque 100 millions de mètres cubes d'eau devraient abonder cette étendue d'eau très salée située 423 mètres en deçà de la mer Rouge, soit le niveau le plus bas du globe. Mais cet apport extérieur ne représentera qu'environ 15 % de ce qui serait nécessaire pour stabiliser le niveau de la mer Morte. Le gouvernement israélien y voit aussi une manière d'afficher sa volonté de coopération régionale avec le royaume hachémite. L'intérêt du projet est « stratégico-diplomatique », a confirmé M. Shalom.
PÉNURIE HYDRIQUE STRUCTURELLE EN CISJORDANIE
Les Jordaniens et les Palestiniens ont des préoccupations plus existentielles : le royaume est le quatrième pays le plus pauvre en eau de la planète, et la Cisjordanie pâtit d'une pénurie hydrique structurelle, notamment pour des raisons politiques liées à l'occupation israélienne : les Palestiniens n'ont pas obtenu l'accès à la mer Morte et au Jourdain qu'ils réclament depuis longtemps.
Près de 200 millions de mètres cubes d'eau par an devraient être pompés de la mer Rouge, dont 80 millions seront traités par une usine de désalinisation qui sera construite à Aqaba, en Jordanie. Sur ce total, Israël devrait récupérer de 30 à 50 millions de mètres cubes qui seront attribués à la ville côtière d'Eilat et à la région d'Arava, dans le désert du Néguev, tandis que la Jordanie pourra disposer de 30 millions de mètres cubes d'eau désalinisée.
Le gouvernement israélien ne précise pas le volume d'eau dont devrait profiter l'Autorité palestinienne, mais les chiffres avancés sont de l'ordre de 20 millions de mètres cubes par an, lesquels seront vendus par la compagnie israélienne Mékorot à un prix qui reste à négocier. Ce n'est pas la seule inconnue : les travaux pour construire le pipeline s'échelonneront sur au moins trois ans, et le financement de l'usine de désalinisation est à formaliser.
Des appels d'offres seront lancés en 2014. Israël évoque un coût de 300 à 400 millions de dollars (218 à 291 millions d'euros) pour la construction du pipeline. Celui-ci est devenu un projet pilote par rapport au projet pharaonique du canal mer Rouge-mer Morte dont il était encore question en avril, pour un coût estimé à 9,97 milliards de dollars (7,78 milliards d'euros).
Cette prudence s'explique par les contraintes financières et les risques environnementaux : la mer Morte pourrait connaître une prolifération d'algues rouges et de formations de gypse en raison du mélange avec l'eau de la mer Rouge, et sa composition minérale pourrait être modifiée par le déversement de saumure. Ce qui laisse bien des raisons de penser qu'à ce stade, l'objectif de « sauver la Mer Morte » reste un vœu pieux.