par bela59 » 26 nov. 2010, 12:24
Comme je le disais, c'était un très bon moment, instructif. Le conférencier, M. Arnoux, est historien des techniques, mais il s'adressait à un public largement composé d'ingénieurs, et il avait des choses à nous apprendre. Il soutient que nous pouvons apprendre des grandes transitions énergétiques du passé pour envisager celles actuelles et à venir. Nous sommes les héritiers de ce qui a marché, et également de ce qui n'a pas marché.
Plusieurs points abordés, je ne parlerai pas de tout et je dis seulement ce que j'en ai retenu (il peut y avoir des approximations de ma part) :
Vers -10000, bien avant le début de l'âge du bronze, les chasseurs magdaléniens maîtrisent à la perfection la taille de la pierre. Parallèlement commencent les premières ébauches de la métallurgie du bronze. Au départ, les premiers outils et armes en bronze ne sont pas optimaux, n'ont ni la beauté ni la prestance du silex. La présence d'arsenic dans l'alliage n'est pas maîtrisée, et certainement nous avons commencé par nous intoxiquer (Héphaïstos, dieu des forgerons, présente tous les signes d'un empoisonnement à l'arsenic : il est paralysé des membres inférieurs...).
Au Moyen-Age, le mode de croissance choisi par l'Europe, à savoir la céréaliculture sur des terres lourdes implique une énorme demande de métal... à cause des charrues (j'ai oublié le chiffre, mais une charrue en fer perd plusieurs kilos de métal par hectare cultivé chaque année). On sait faire des métaux excellents, mais la limite est la tendinite du forgeron ! L'invention du marteau hydraulique (un marteau entraîné par un moulin) fin 12ème siècle permet une plus grande efficacité.
L'invention du haut-fourneau entre 1500 et 1600 est un nouveau saut technologique. Comme avantage, on fait des économies d'échelle, on chauffe une fois pour 3 à 6 semaines, et on économise ainsi le combustible. Cependant, un haut-fourneau c'est au moins 500 ha par an de taillis, multipliés par 20 ans de renouvellement, qui font au moins 10000 ha spécialement affectés à cela (effet rebond ?). A comparer aux 5 ha de taillis par an pour le bas-foyer du forgeron (chiffres pour la Haute-Normandie)... Buffon parle même de 15 à 20000 ha pour faire marcher son haut-fourneau en 1750. Il faut donc des forêts énormes, et c'est une des causes de la grande déforestation de l'âge moderne. Sur des illustrations de l'époque, on voit parfaitement poindre les problèmes de ravinement, d'appauvrissement général des écosystèmes. Les gens en sont parfaitement conscients.
Deux conclusions :
- Nous ne sommes pas les premiers à prendre conscience des problèmes d'énergie.
- Le renouvelable (ici le bois) présente aussi des problèmes.
Le conférencier s'est attardé sur le fer, racontant plusieurs anecdotes croustillantes : Gênes à l'époque est une grande puissance financière et militaire, dispose du minerai de fer de l'ile d'Elbe, de forêts, et donc semble avoir tous les atouts pour faire son propre fer. Cependant, les forêts sont des forêts de chataîgners qui nourrissent une large part de la population. La question est donc de savoir si l'on souhaite affamer ces gens, et risquer de les voir devenir mendiants en ville. Le choix est finalement fait d'acheter le fer à l'extérieur.
De même, Florence vers 1520-1530 est dirigée par le comte de Médicis qui souhaiterait devenir quelqu'un de respecté, et cela implique de fabriquer ses propres canons. Il fait faillite en 5 ans. Il n'est donc pas possible en Méditerrannée de faire fonctionner un haut-fourneau car cela est trop dévastateur pour l'écosystème...
M. Arnoux a également fait allusion au livre «Une grande divergence» de Kenneth Pomeranz qui a provoqué un débat très important chez les historiens. On sait bien (moi je savais pas) que la révolution industrielle aurait pu avoir lieu en Chine à la fin du 18ème siècle car le niveau de développement est très similaire à celui de l'Europe à la même époque sur les plans technologique, politique, économique, etc. Pourquoi ça n'a pas eu lieu ? Quels sont les problèmes que les Chinois n'ont pas résolu ? Avant on faisait une réponse essentialiste : parce que la Chine est peuplée de Chinois... Visiblement le livre pose la question de manière différente. A lire, donc...
Les Chinois ont pris la voie (vertueuse) de l'économie d'énergie -> effondrement des niveaux de vie (car on chauffe moins les aliments, on réduit l'isolation des maisons...) -> famines, dégradation de l'economie...
L'Europe, elle, a exporté une bonne partie de sa demande d'énergie. En effet, au moment de la RI, on passe d'une journée de travail de 8h à 14h. Pour faire travailler + les gens, il faut :
1. du sucre
2. des coupe-faims (tabac)
Des millions d'ha sont utilisés pour ça, respectivement en Amérique du Sud et aux USA. D'une certaine manière ils viennent s'ajouter aux ressources de l'Europe. Et donc l'esclavage et le commerce triangulaire sont indissociables de la révolution industrielle.
Le déclic de la RI c'est le charbon : 1709 Abraham Darby. A partir de ce moment, on utilise le coke à la place du charbon de bois. Le coke était cependant connu depuis longtemps, pour d'autres propriétés (notamment il désodorise l'anthracite et permettait ainsi de faire de la bière !). Tout cela commence en Angleterre où ça arrive «sur le marché» en 1740-50. Mais sur le continent on met un siècle à faire du fer à partir du coke. Tout simplement car on a encore des forêts ! L'exception c'est le Creusot qui essaye le coke et fait faillite instantanément. Les Canadiens utilisent même du bois jusque 1920 !
Dernière remarque, il existe sur la planète un pays où les gens n'ont pas de cuisine chez eux et qui a pourtant un niveau de vie comparable au notre. C'est Taïwan. On y fait d'énormes économies en «externalisant» ainsi ce besoin. Il y a beaucoup de vendeurs ambulants dans les rues, et on y mange pour 1,5 €. Tout le monde est dans les rues. Mais pourrait-on envisager cela ici ? Les bloquages seraient-ils essentiellement culturels ? Pourtant c'était aussi le cas à Paris jusqu'au 17ème siècle. Les gens n'avaient pas de cuisine car il était interdit de faire du feu chez soi...
Comme je le disais, c'était un très bon moment, instructif. Le conférencier, M. Arnoux, est historien des techniques, mais il s'adressait à un public largement composé d'ingénieurs, et il avait des choses à nous apprendre. Il soutient que nous pouvons apprendre des grandes transitions énergétiques du passé pour envisager celles actuelles et à venir. Nous sommes les héritiers de ce qui a marché, et également de ce qui n'a pas marché.
Plusieurs points abordés, je ne parlerai pas de tout et je dis seulement ce que j'en ai retenu (il peut y avoir des approximations de ma part) :
Vers -10000, bien avant le début de l'âge du bronze, les chasseurs magdaléniens maîtrisent à la perfection la taille de la pierre. Parallèlement commencent les premières ébauches de la métallurgie du bronze. Au départ, les premiers outils et armes en bronze ne sont pas optimaux, n'ont ni la beauté ni la prestance du silex. La présence d'arsenic dans l'alliage n'est pas maîtrisée, et certainement nous avons commencé par nous intoxiquer (Héphaïstos, dieu des forgerons, présente tous les signes d'un empoisonnement à l'arsenic : il est paralysé des membres inférieurs...).
Au Moyen-Age, le mode de croissance choisi par l'Europe, à savoir la céréaliculture sur des terres lourdes implique une énorme demande de métal... à cause des charrues (j'ai oublié le chiffre, mais une charrue en fer perd plusieurs kilos de métal par hectare cultivé chaque année). On sait faire des métaux excellents, mais la limite est la tendinite du forgeron ! L'invention du marteau hydraulique (un marteau entraîné par un moulin) fin 12ème siècle permet une plus grande efficacité.
L'invention du haut-fourneau entre 1500 et 1600 est un nouveau saut technologique. Comme avantage, on fait des économies d'échelle, on chauffe une fois pour 3 à 6 semaines, et on économise ainsi le combustible. Cependant, un haut-fourneau c'est au moins 500 ha par an de taillis, multipliés par 20 ans de renouvellement, qui font au moins 10000 ha spécialement affectés à cela (effet rebond ?). A comparer aux 5 ha de taillis par an pour le bas-foyer du forgeron (chiffres pour la Haute-Normandie)... Buffon parle même de 15 à 20000 ha pour faire marcher son haut-fourneau en 1750. Il faut donc des forêts énormes, et c'est une des causes de la grande déforestation de l'âge moderne. Sur des illustrations de l'époque, on voit parfaitement poindre les problèmes de ravinement, d'appauvrissement général des écosystèmes. Les gens en sont parfaitement conscients.
Deux conclusions :
- Nous ne sommes pas les premiers à prendre conscience des problèmes d'énergie.
- Le renouvelable (ici le bois) présente aussi des problèmes.
Le conférencier s'est attardé sur le fer, racontant plusieurs anecdotes croustillantes : Gênes à l'époque est une grande puissance financière et militaire, dispose du minerai de fer de l'ile d'Elbe, de forêts, et donc semble avoir tous les atouts pour faire son propre fer. Cependant, les forêts sont des forêts de chataîgners qui nourrissent une large part de la population. La question est donc de savoir si l'on souhaite affamer ces gens, et risquer de les voir devenir mendiants en ville. Le choix est finalement fait d'acheter le fer à l'extérieur.
De même, Florence vers 1520-1530 est dirigée par le comte de Médicis qui souhaiterait devenir quelqu'un de respecté, et cela implique de fabriquer ses propres canons. Il fait faillite en 5 ans. Il n'est donc pas possible en Méditerrannée de faire fonctionner un haut-fourneau car cela est trop dévastateur pour l'écosystème...
M. Arnoux a également fait allusion au livre «Une grande divergence» de Kenneth Pomeranz qui a provoqué un débat très important chez les historiens. On sait bien (moi je savais pas) que la révolution industrielle aurait pu avoir lieu en Chine à la fin du 18ème siècle car le niveau de développement est très similaire à celui de l'Europe à la même époque sur les plans technologique, politique, économique, etc. Pourquoi ça n'a pas eu lieu ? Quels sont les problèmes que les Chinois n'ont pas résolu ? Avant on faisait une réponse essentialiste : parce que la Chine est peuplée de Chinois... Visiblement le livre pose la question de manière différente. A lire, donc...
Les Chinois ont pris la voie (vertueuse) de l'économie d'énergie -> effondrement des niveaux de vie (car on chauffe moins les aliments, on réduit l'isolation des maisons...) -> famines, dégradation de l'economie...
L'Europe, elle, a exporté une bonne partie de sa demande d'énergie. En effet, au moment de la RI, on passe d'une journée de travail de 8h à 14h. Pour faire travailler + les gens, il faut :
1. du sucre
2. des coupe-faims (tabac)
Des millions d'ha sont utilisés pour ça, respectivement en Amérique du Sud et aux USA. D'une certaine manière ils viennent s'ajouter aux ressources de l'Europe. Et donc l'esclavage et le commerce triangulaire sont indissociables de la révolution industrielle.
Le déclic de la RI c'est le charbon : 1709 Abraham Darby. A partir de ce moment, on utilise le coke à la place du charbon de bois. Le coke était cependant connu depuis longtemps, pour d'autres propriétés (notamment il désodorise l'anthracite et permettait ainsi de faire de la bière !). Tout cela commence en Angleterre où ça arrive «sur le marché» en 1740-50. Mais sur le continent on met un siècle à faire du fer à partir du coke. Tout simplement car on a encore des forêts ! L'exception c'est le Creusot qui essaye le coke et fait faillite instantanément. Les Canadiens utilisent même du bois jusque 1920 !
Dernière remarque, il existe sur la planète un pays où les gens n'ont pas de cuisine chez eux et qui a pourtant un niveau de vie comparable au notre. C'est Taïwan. On y fait d'énormes économies en «externalisant» ainsi ce besoin. Il y a beaucoup de vendeurs ambulants dans les rues, et on y mange pour 1,5 €. Tout le monde est dans les rues. Mais pourrait-on envisager cela ici ? Les bloquages seraient-ils essentiellement culturels ? Pourtant c'était aussi le cas à Paris jusqu'au 17ème siècle. Les gens n'avaient pas de cuisine car il était interdit de faire du feu chez soi...