par mobar » 04 mars 2024, 17:43
https://greenwashingeconomy.com/neutral ... du-siecle/
Neutralité carbone : l’arnaque du siècle
...
Le carbone, cheval de Troie de l’appropriation capitaliste de la nature
« Tout processus d’appropriation a toujours comme double inversé une expropriation. »
– Hélène Tordjman, La croissance verte contre la nature : critique de l’écologie marchande, 2021.
L’économiste Hélène Tordjman rappelle dans son livre les processus par lesquels le capitalisme, s’appuyant sur la science et le progrès technique, nourrit son expansion en colonisant de nouveaux domaines, élargissant constamment son emprise sur la nature. Ainsi, « des choses qui n’avaient pas vocation à être marchandises le deviennent » :
« Ressources génétiques, protection des espèces menacées et des habitats, séquestration du carbone par les forêts, une nouvelle classe de marchandises fictives apparaît. Karl Polanyi désignait ainsi la terre, le travail et la monnaie, choses non produites en vue d’un échange marchand mais devenues marchandises à travers un processus à la fois économique, juridique et politique compliqué et souvent violent. »
On assiste à une « dématérialisation de la nature », celle-ci doit être transformée en abstraction et désincarnée pour pouvoir être intégrée au marché et valorisée. Les plantes les animaux sont réduits à de l’information génétique, les forêts à des « puits de carbone » ou à un « stock de biomasse » fournissant des « services écosystémiques ».
Après avoir détaillé les étapes de construction des marchandises fictives que sont les services écosystémiques (voir l’article « Comment transformer la nature en marchandise »), Hélène Tordjman fait la lumière sur la « nature profonde de l’exercice. » Donner un prix à la nature est une entreprise à la fois « réductionniste et impérialiste. » Réductionniste, car la nature est découpée en morceaux, réduite à un « catalogue d’objets discrets, envisagés séparément les uns des autres, seule manière de pouvoir les mesurer, les comparer et leur donner une valeur en termes d’“unités de biodiversité” ou de dollars. » Il s’agit également selon Tordjman d’une « perspective impérialiste », en d’autres termes une « vision de la nature comme un capital engendrant des flux de services écosystémiques [qui] prétend rendre compte de tous les aspects de la vie sur Terre, considérés sous l’unique angle des bénéfices qu’ils apportent à l’être humain. » L’impérialisme se remarque encore dans « l’importation dans le champ de l’écologie des catégories économiques et financières pour penser la nature et nos relations avec elle. »
« Des flux, des stocks, du capital, des services… tous ces termes reflètent la domination sans partage d’une vision économiciste du monde. Dans l’indifférenciation qu’elle produit, cette vision nie la richesse de la nature et sa diversité : un hectare de forêt tropicale égale 3 hectares de forêt tempérée ou 1/10e d’hectare de récif corallien. Une forêt tropicale n’est qu’un “puits de carbone”, tandis qu’un récif corallien ou une mangrove sont essentiellement des protections à l’érosion des côtes. Quant à la “biomasse”, elle englobe tout ce qui vit ou a vécu sur Terre, tous les organismes non fossilisés. Les formes matérielles de la vie sur Terre, leur beauté spontanée et leur infinie diversité sont ramenées à un équivalent général quantitatif unique. D’une manière quelque peu similaire à ce qui se passe pour l’appropriation des gènes, variétés végétales et microorganismes, où toutes ces formes de vie sont évaluées à travers le prisme de l’information génétique (une succession de bits), les notions de capital naturel et de services écosystémiques conçoivent une nature indépendante de ses manifestations concrètes, désincarnée ou dématérialisée. »
Poser les bases techniques, juridiques et financières pour valoriser une forêt en termes d’équivalent carbone est une boîte de Pandore qui, une fois ouverte, aura des conséquences dont on peine à imaginer la portée.
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[quote]Neutralité carbone : l’arnaque du siècle
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Le carbone, cheval de Troie de l’appropriation capitaliste de la nature
« Tout processus d’appropriation a toujours comme double inversé une expropriation. »
– Hélène Tordjman, La croissance verte contre la nature : critique de l’écologie marchande, 2021.
L’économiste Hélène Tordjman rappelle dans son livre les processus par lesquels le capitalisme, s’appuyant sur la science et le progrès technique, nourrit son expansion en colonisant de nouveaux domaines, élargissant constamment son emprise sur la nature. Ainsi, « des choses qui n’avaient pas vocation à être marchandises le deviennent » :
« Ressources génétiques, protection des espèces menacées et des habitats, séquestration du carbone par les forêts, une nouvelle classe de marchandises fictives apparaît. Karl Polanyi désignait ainsi la terre, le travail et la monnaie, choses non produites en vue d’un échange marchand mais devenues marchandises à travers un processus à la fois économique, juridique et politique compliqué et souvent violent. »
On assiste à une « dématérialisation de la nature », celle-ci doit être transformée en abstraction et désincarnée pour pouvoir être intégrée au marché et valorisée. Les plantes les animaux sont réduits à de l’information génétique, les forêts à des « puits de carbone » ou à un « stock de biomasse » fournissant des « services écosystémiques ».
Après avoir détaillé les étapes de construction des marchandises fictives que sont les services écosystémiques (voir l’article « Comment transformer la nature en marchandise »), Hélène Tordjman fait la lumière sur la « nature profonde de l’exercice. » Donner un prix à la nature est une entreprise à la fois « réductionniste et impérialiste. » Réductionniste, car la nature est découpée en morceaux, réduite à un « catalogue d’objets discrets, envisagés séparément les uns des autres, seule manière de pouvoir les mesurer, les comparer et leur donner une valeur en termes d’“unités de biodiversité” ou de dollars. » Il s’agit également selon Tordjman d’une « perspective impérialiste », en d’autres termes une « vision de la nature comme un capital engendrant des flux de services écosystémiques [qui] prétend rendre compte de tous les aspects de la vie sur Terre, considérés sous l’unique angle des bénéfices qu’ils apportent à l’être humain. » L’impérialisme se remarque encore dans « l’importation dans le champ de l’écologie des catégories économiques et financières pour penser la nature et nos relations avec elle. »
« Des flux, des stocks, du capital, des services… tous ces termes reflètent la domination sans partage d’une vision économiciste du monde. Dans l’indifférenciation qu’elle produit, cette vision nie la richesse de la nature et sa diversité : un hectare de forêt tropicale égale 3 hectares de forêt tempérée ou 1/10e d’hectare de récif corallien. Une forêt tropicale n’est qu’un “puits de carbone”, tandis qu’un récif corallien ou une mangrove sont essentiellement des protections à l’érosion des côtes. Quant à la “biomasse”, elle englobe tout ce qui vit ou a vécu sur Terre, tous les organismes non fossilisés. Les formes matérielles de la vie sur Terre, leur beauté spontanée et leur infinie diversité sont ramenées à un équivalent général quantitatif unique. D’une manière quelque peu similaire à ce qui se passe pour l’appropriation des gènes, variétés végétales et microorganismes, où toutes ces formes de vie sont évaluées à travers le prisme de l’information génétique (une succession de bits), les notions de capital naturel et de services écosystémiques conçoivent une nature indépendante de ses manifestations concrètes, désincarnée ou dématérialisée. »
Poser les bases techniques, juridiques et financières pour valoriser une forêt en termes d’équivalent carbone est une boîte de Pandore qui, une fois ouverte, aura des conséquences dont on peine à imaginer la portée.[/quote]