En Bourgogne-Franche-Comté, la filière bois tirée par la construction
DE NOTRE CORRESPONDANTE, NADÈGE HUBERT SAÔNE-ET-LOIRE , CÔTE-D'OR , JURA , NIÈVRE , BOURGOGNE-FRANCHE-COMTÉ PUBLIÉ LE 05/06/2020
En Bourgogne Franche-Comté, les industriels du bois parient sur l’innovation pour s’imposer sur un marché de la construction en plein développement.
Habellis construit à Dijon, au cœur du quartier de la Toison d’Or, un lotissement de 40 maisons bioclimatiques en bois.
La construction d’un lotissement de 40 maisons totalement conçues en bois devrait s’achever courant 2020 dans le quartier de la Toison d’Or, à Dijon (Côte-d’Or). Une initiative d’Habellis, bailleur social privé, réalisée par trois entreprises régionales. Depuis que le Grenelle de l’environnement a fixé comme objectif de développer la construction en bois, État, bailleurs sociaux et aménageurs publics se tournent vers ce matériau écoresponsable. "La construction bois s’inscrit comme un moteur pour la filière régionale et fournit du travail à 22,6 % de son effectif", précise Christian Dubois, le délégué général de la Fibois, l’interprofession de la filière forêt-bois. En 2018, selon les professionnels du secteur, le nombre de maisons individuelles à ossature bois a augmenté de 20 %, celui des logements collectifs de 19,4 %, celui des bâtiments industriels et artisanaux de 31,5 %.
Face au souhait des villes de réduire leur étalement foncier, le bois s’impose aussi dans les projets de surélévation, grâce à ses qualités techniques et physiques. Spécialiste du bâtiment à ossature bois, ALD Construction Bois (30 salariés, 5 millions d’euros de chiffre d’affaires), installé à Port-Lesney (Jura), a dernièrement surélevé les bâtiments de l’hôpital de Dijon. "Les donneurs d’ordres ne viennent pas au bois par conviction, mais par obligation, pour suivre la réglementation", regrette Philippe Gouget, le directeur de la société. Le développement de ce matériau va le conduire à investir près de 600 000 euros dans une ligne de production de panneaux muraux. L’entreprise mise sur les lotissements en bois imaginés par les investisseurs privés et sur les bâtiments de grande hauteur.
Ce dernier axe de développement est partagé par Arbonis, constructeur de bâtiments bois, présent à Verosvres (Saône-et-Loire). Spécialisée dans la conception et la construction bois, cette filiale de Vinci Construction France (250 salariés) a rejoint l’Association pour le développement des immeubles à vivre en bois (Adivbois). "La réglementation nous restreint encore, mais l’objectif est de prendre des parts de marché à d’autres matériaux pour la grande hauteur", confirme Christian Dubois. L’utilisation du bois est limitée à des bâtiments jusqu’à huit étages ou 28 mètres de hauteur. Plusieurs immeubles de ce type seront construits pour les jeux Olympiques de Paris 2024.
Pour aller au-delà, les acteurs de la filière s’attachent à faire évoluer les procédés constructifs. Certains expérimentent, comme le groupe Ducerf (180 salariés, 35 millions d’euros de chiffre d’affaires), qui produit des panneaux de lamellé-collé à Vendenesse-lès-Charolles (Saône-et-Loire). "Nous imaginons une ligne de sciage qui utiliserait les bois de moindre qualité, habituellement non exploités, pour concevoir des panneaux capables d’être utilisés en murs porteurs", détaille Édouard Ducerf, le PDG de l’entreprise. Il envisage d’investir entre 2 et 3 millions d’euros à moyen terme pour créer un matériau susceptible de remplacer le béton. Ducerf a rejoint Bois Croisés de Bourgogne, un cluster réunissant 14 entreprises de trois départements, qui mène avec les Arts et métiers Paristech Cluny des recherches sur le lamellé-croisé en chêne [lire l’encadré].
Collaborer pour résister à la concurrence
Pionnière de la grande hauteur, l’entreprise Simonin, productrice de composants en bois (97 salariés, 20 à 24 millions d’euros de chiffre d’affaires), à Montlebon (Doubs), mise depuis plusieurs années sur l’innovation. Ses recherches ont donné naissance à un système d’assemblage, Résix, plébiscité pour la construction et valorisé par d’autres acteurs de la filière, comme ALD Construction Bois, dont le directeur est fier de collaborer avec Simonin. "Je suis convaincu qu’en associant les compétences des petits industriels que nous sommes, nous pourrons rivaliser avec nos concurrents allemands, déjà présents sur le marché français", souligne Philippe Gouget. ALD a d’ailleurs intégré le cluster Robin’s, qui regroupe 25 acteurs (entreprises de construction, bureaux d’études, architectes…), pour concevoir des projets répondant aux attentes des concepteurs tout en garantissant faisabilité et coût.
De son côté, Arbonis s’intéresse à la résistance acoustique et thermique du bois et à sa résistance au feu, afin de proposer des alternatives biosourcées à ces exigences. "L’avenir de la filière passe par la R & D. Elle va améliorer la technicité de nos produits et nous ouvrir de nouveaux marchés, à condition de continuer à sensibiliser les architectes au bois", insiste le délégué général de la Fibois. Pour Philippe Gouget, la proximité contribuera à garantir un avenir à la filière régionale : "Une dynamique s’est engagée dans les collectivités du Doubs et du Jura autour d’appels d’offres de marchés publics en circuit court. Se fournir, transformer, construire au plus près, ont des retombées sur l’environnement et sur l’emploi. Les investisseurs privés entament à leur tour ce genre de démarche." Riche de 1,7 million d’hectares de forêt, la région Bourgogne-Franche-Comté voit partir une partie de ses ressources en bois, notamment le chêne, vers la Chine et le reste de l’Europe. Sans mettre en péril les activités économiques locales pour l’instant, mais le directeur d’ALD Construction Bois appelle à la vigilance.
Innover pour renforcer le secteur
Le laboratoire bois de l’école des Arts et métiers, à Cluny (Saône-et-Loire), tente de concevoir, en association avec le groupement d’entreprises Bois Croisés de Bourgogne, un bois lamellé-croisé (CLT) à partir de chêne. Objectif : utiliser la matière de moins bonne qualité, jusque-là délaissée par les industriels, pour répondre aux enjeux des bâtiments de grande hauteur. "Il fallait une machine capable de classer les bois susceptibles de servir à la construction, en fonction de leurs propriétés techniques et de leur nodosité. Nous avons créé un prototype, qui pourrait être transféré à un industriel de la production de machines", explique Robert Collet, le responsable du laboratoire. Les industriels ont par ailleurs cherché la formule de collage adaptée et disposent désormais d’un CLT chêne, utilisé pour réaliser 1 200 m2 de cloisons pour le lycée Camille du Gast de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire) en 2018. En parallèle, les Arts et métiers ont achevé en décembre quatre ans de collaboration avec Brugère (82 salariés, 8 millions d’euros de chiffre d’affaires), une entreprise située à Châtillon-sur-Seine (Côte-d’Or). Ce travail a permis d’identifier deux indicateurs, l’humidité et l’ondulation, pour caractériser les bois en fonction de leur provenance et évaluer leur impact sur le process de production. "Les résultats devraient permettre de trouver une solution aux rebuts dus à la déformation de panneaux ", explique Louis-Marie de Barmon, le directeur de Brugère.