par Tiennel » 18 avr. 2007, 18:33
Rien de mieux que les bistrots pour trouver des âmes sensibles aux problèmes actuels... Surtout si on les aborde avec quelque chose qui leur tient à coeur
Le Problème et ses Experts
Le Dr. Liebig, oenologue à la retraite, anime un club original d'anciens Chevaliers du Tastevin : l'Association des Scrutateurs du Pic Oenologique (ASPO). Par des modélisations savantes alimentées par des données aux origines mystérieuses, l'ASPO a déterminé que le maximum mondial de production viticole, le Pic Oenologique (appelé aussi Pic Vin ou P20 par les familiers du sujet), devrait survenir en 2020 (prononcer vin-vin). Après cette date, la diminution des rendements viticoles ne pourra plus être compensée par l'augmentation des surfaces agricoles consacrées à la vigne.
On trouve des disciples de l'ASPO sur le site communautaire de la Barrique de Vin, où ils illustrent en 65536 couleurs la situation détaillée des différents vignobles, avec une affection particulière pour les emblématiques Côtes de Beaune. Certains tentent aussi d'affiner la date du P20 en analysant les variations de prix et/ou les quantités en rayon de rosé de provence et de riesling dans les hypermarchés new-yorkais.
Parmi les sommités du P20, il faut citer Mathieu Simon, négociant à Bercy, qui a écrit un gros pavé intitulé
Crépuscule sur les coteaux où il prédit le plafonnement imminent de la production bordelaise - et donc mondiale - après avoir analysé 51 numéros de la Revue Bordelaise de la Chambre Professionnelle de Viticulture.
Les Viticulteurs Optimistes
Aujourd'hui, seuls quelques grands propriétaires terriens californiens nient encore la réalité du PO, sans doute pour ne pas alimenter les rumeurs quant au plafonnement de leur propre production viticole - et donc de leurs ventes.
La majorité des viticulteurs espèrent néanmoins pouvoir retarder l'échéance, en employant par exemple de nouvelles techniques de pressage qui extraient plus de jus des grains, ou bien en diluant le marc dans de l'éthanol. Même si l'AROIA (
Alcohol Return On Invested Alcohol) est négatif, cela permet aux producteurs de vin de continuer à satisfaire une demande toujours croissante.
Les Aqualogistes
Les buveurs d'eau invétérés, enivrés (!) par l'idée que le vin pourrait un jour disparaître et que l'humanité serait ainsi contrainte à suivre comme eux la voie fade de la sobriété, ont fourni une caisse de résonance inattendue aux travaux du Dr. Liebig. Certains ascètes ont même généralisé la théorie du P20 à une utopie où l'alcool disparaîtrait de la surface de la Terre, entraînant la société dans le chaos, la famine et la tristesse, puisque l'alcool rend gai. D'autres aqualogistes, aux connexions altermondialistes, pensent que le nouveau modèle de la société à reconstruire est celui des sociétés primitives, puisqu'elles seules autoproduisent artisanalement l'alcool qu'elles consomment.
Les Substitionnistes
Plusieurs secteurs de l'industrie et de l'agro-alimentaire profitent de la reconnaissance progressive du PO pour développer ce qui est pour eux un formidable relais de croissance.
- les compagnies pétrolières font la promotion des "pétrovins", souvent obtenus par un mélange de vin, d'eau et d'éthanol obtenus par reformage d'hydrocarbures (ex : le V85). Outre le rendement déplorable, le problème principal de cette approche est la concurrence qu'elle crée avec les usages traditionnels - et vitaux - du pétrole, qu'on peut résumer par le slogan "boire ou conduire, il faut choisir". Une deuxième génération de pétrovins, plus intéressante - le procédé délivrerait directement du saint-émilion ou du sauternes, à partir de pétrole ou de tout autre liquide hydrocarboné - est à l'étude mais il reste de nombreux verrous technologiques à faire sauter pour envisager une production à l'échelle industrielle.
- les brasseurs sont convaincus que la bière va connaître un retour en grâce, malgré ses défauts (éructations, effet diurétique) dûs à son importante concentration en gaz carbonique : le potentiel agricole du houblon permet de satisfaire la soif de l'humanité pendant un siècle ou deux. Les brasseurs, qui considèrent que tous les alcools se valent, se voient reprocher leur vision simpliste du problème, notamment par les Français qui ne veulent pas boire de la bière pendant les repas. On leur oppose aussi le temps et l'argent qui seraient nécessaires pour construire les nombreuses brasseries requises ; certains vont même jusqu'à douter de la capacité de l'humanité à construire ses brasseries, car les ouvriers qui les devront les construire n'auront plus assez de vin à boire sur les chantiers.
- les producteurs de café espèrent aussi profiter de l'aubaine de l'après-vin, mais la substitution n'est que partiellement possible, même si dans certains cas, par exemple au travail, le café est plus sain que le vin : les usages festifs du vin restent inacessibles au café, à moins de traitements industriels onéreux (Coffee-To-Liquor ou CTL) donnant par exemple de la liqueur de Calhua ou de Bailey's, traitements que seuls peuvent s'offrir les très grands producteurs de café.
Les Vinocentriques
Souvent mal informés, pas toujours issus du militantisme aqualogiste, ce sont de simples citoyens ayant pris conscience du P20 mais surestimant à la fois le rôle et le caractère irremplaçable du vin dans notre société. Ils sont convaincus que vont disparaître avec le vin des pans entiers de notre civilisation, comme la religion catholique (à cause du vin de messe), le transport maritime (car les bateaux sont baptisés au champagne) ou encore les films de James Bond (le Martini-gin est condamné). La fréquentation de forums comme Oenolocène leur permet souvent de relativiser leurs craintes.
Les Globalistes
Ils s'intéressent moins au P20 qu'au problème sous-jacent d'épuisement des sols et de la ressource en eau, souvent dénommé RC (Raréfaction Critique). Pessimistes, ils ont peur que les brasseurs parviennent à imposer QB (
Queen Beer) au monde entier, ce qui accélérerait encore l'épuisement des sols. De ce fait, ils prônent des solutions artificielles contestables (ex : Coca-Cola) qui amènent d'autres questions sérieuses de santé publique. Ils considèrent parfois avec condescendance les Vinocentriques, qui ne voient selon eux que la partie émergée de l'iceberg, tandis que les Vinocentriques leur rétorquent parfois que ladite RC ne pourra jamais survenir car vignobles et champs de houblons auront été dévastés avant par de graves crises économiques et sociales issues de l'arrivée du P20.
[i][size=75]Rien de mieux que les bistrots pour trouver des âmes sensibles aux problèmes actuels... Surtout si on les aborde avec quelque chose qui leur tient à coeur [/size][/i]
[b]Le Problème et ses Experts[/b]
Le Dr. Liebig, oenologue à la retraite, anime un club original d'anciens Chevaliers du Tastevin : l'Association des Scrutateurs du Pic Oenologique (ASPO). Par des modélisations savantes alimentées par des données aux origines mystérieuses, l'ASPO a déterminé que le maximum mondial de production viticole, le Pic Oenologique (appelé aussi Pic Vin ou P20 par les familiers du sujet), devrait survenir en 2020 (prononcer vin-vin). Après cette date, la diminution des rendements viticoles ne pourra plus être compensée par l'augmentation des surfaces agricoles consacrées à la vigne.
On trouve des disciples de l'ASPO sur le site communautaire de la Barrique de Vin, où ils illustrent en 65536 couleurs la situation détaillée des différents vignobles, avec une affection particulière pour les emblématiques Côtes de Beaune. Certains tentent aussi d'affiner la date du P20 en analysant les variations de prix et/ou les quantités en rayon de rosé de provence et de riesling dans les hypermarchés new-yorkais.
Parmi les sommités du P20, il faut citer Mathieu Simon, négociant à Bercy, qui a écrit un gros pavé intitulé [i]Crépuscule sur les coteaux[/i] où il prédit le plafonnement imminent de la production bordelaise - et donc mondiale - après avoir analysé 51 numéros de la Revue Bordelaise de la Chambre Professionnelle de Viticulture.
[b]Les Viticulteurs Optimistes[/b]
Aujourd'hui, seuls quelques grands propriétaires terriens californiens nient encore la réalité du PO, sans doute pour ne pas alimenter les rumeurs quant au plafonnement de leur propre production viticole - et donc de leurs ventes.
La majorité des viticulteurs espèrent néanmoins pouvoir retarder l'échéance, en employant par exemple de nouvelles techniques de pressage qui extraient plus de jus des grains, ou bien en diluant le marc dans de l'éthanol. Même si l'AROIA ([i]Alcohol Return On Invested Alcohol[/i]) est négatif, cela permet aux producteurs de vin de continuer à satisfaire une demande toujours croissante.
[b]
Les Aqualogistes[/b]
Les buveurs d'eau invétérés, enivrés (!) par l'idée que le vin pourrait un jour disparaître et que l'humanité serait ainsi contrainte à suivre comme eux la voie fade de la sobriété, ont fourni une caisse de résonance inattendue aux travaux du Dr. Liebig. Certains ascètes ont même généralisé la théorie du P20 à une utopie où l'alcool disparaîtrait de la surface de la Terre, entraînant la société dans le chaos, la famine et la tristesse, puisque l'alcool rend gai. D'autres aqualogistes, aux connexions altermondialistes, pensent que le nouveau modèle de la société à reconstruire est celui des sociétés primitives, puisqu'elles seules autoproduisent artisanalement l'alcool qu'elles consomment.
[b]Les Substitionnistes[/b]
Plusieurs secteurs de l'industrie et de l'agro-alimentaire profitent de la reconnaissance progressive du PO pour développer ce qui est pour eux un formidable relais de croissance.[list][*][b]les compagnies pétrolières[/b] font la promotion des "pétrovins", souvent obtenus par un mélange de vin, d'eau et d'éthanol obtenus par reformage d'hydrocarbures (ex : le V85). Outre le rendement déplorable, le problème principal de cette approche est la concurrence qu'elle crée avec les usages traditionnels - et vitaux - du pétrole, qu'on peut résumer par le slogan "boire ou conduire, il faut choisir". Une deuxième génération de pétrovins, plus intéressante - le procédé délivrerait directement du saint-émilion ou du sauternes, à partir de pétrole ou de tout autre liquide hydrocarboné - est à l'étude mais il reste de nombreux verrous technologiques à faire sauter pour envisager une production à l'échelle industrielle.
[*][b]les brasseurs[/b] sont convaincus que la bière va connaître un retour en grâce, malgré ses défauts (éructations, effet diurétique) dûs à son importante concentration en gaz carbonique : le potentiel agricole du houblon permet de satisfaire la soif de l'humanité pendant un siècle ou deux. Les brasseurs, qui considèrent que tous les alcools se valent, se voient reprocher leur vision simpliste du problème, notamment par les Français qui ne veulent pas boire de la bière pendant les repas. On leur oppose aussi le temps et l'argent qui seraient nécessaires pour construire les nombreuses brasseries requises ; certains vont même jusqu'à douter de la capacité de l'humanité à construire ses brasseries, car les ouvriers qui les devront les construire n'auront plus assez de vin à boire sur les chantiers.
[*][b]les producteurs de café[/b] espèrent aussi profiter de l'aubaine de l'après-vin, mais la substitution n'est que partiellement possible, même si dans certains cas, par exemple au travail, le café est plus sain que le vin : les usages festifs du vin restent inacessibles au café, à moins de traitements industriels onéreux ([i]Coffee-To-Liquor[/i] ou CTL) donnant par exemple de la liqueur de Calhua ou de Bailey's, traitements que seuls peuvent s'offrir les très grands producteurs de café.[/list]
[b]
Les Vinocentriques[/b]
Souvent mal informés, pas toujours issus du militantisme aqualogiste, ce sont de simples citoyens ayant pris conscience du P20 mais surestimant à la fois le rôle et le caractère irremplaçable du vin dans notre société. Ils sont convaincus que vont disparaître avec le vin des pans entiers de notre civilisation, comme la religion catholique (à cause du vin de messe), le transport maritime (car les bateaux sont baptisés au champagne) ou encore les films de James Bond (le Martini-gin est condamné). La fréquentation de forums comme Oenolocène leur permet souvent de relativiser leurs craintes.
[b]
Les Globalistes[/b]
Ils s'intéressent moins au P20 qu'au problème sous-jacent d'épuisement des sols et de la ressource en eau, souvent dénommé RC (Raréfaction Critique). Pessimistes, ils ont peur que les brasseurs parviennent à imposer QB ([i]Queen Beer[/i]) au monde entier, ce qui accélérerait encore l'épuisement des sols. De ce fait, ils prônent des solutions artificielles contestables (ex : Coca-Cola) qui amènent d'autres questions sérieuses de santé publique. Ils considèrent parfois avec condescendance les Vinocentriques, qui ne voient selon eux que la partie émergée de l'iceberg, tandis que les Vinocentriques leur rétorquent parfois que ladite RC ne pourra jamais survenir car vignobles et champs de houblons auront été dévastés avant par de graves crises économiques et sociales issues de l'arrivée du P20.