par energy_isere » 02 mars 2020, 20:02
Le laborieux décollage des biocarburants avancés
AURÉLIE BARBAUX Usine Nouvelle 02/03/2020
La France veut du biokérosène durable pour verdir son transport aérien. Mais elle ne dispose pour l’instant d’aucune unité industrielle pour le produire.
C'est écrit dans la stratégie nationale bas carbone. Pour verdir son transport aérien, la France veut substituer le kérosène fossile par 2 % de biocarburants durables en 2025 et 5 % en 2030. Mais Élisabeth Borne, la ministre de la Transition écologique et solidaire, a rappelé, fin janvier à Toulouse, que ces biocarburants de nouvelle génération ne devaient pas avoir "d’impact sur la déforestation et qu’ils n’entreront pas en concurrence avec la production agricole".
Une déclaration adressée à Airbus, Air France, Safran, Total et Suez, signataires en 2017 d’un engagement de la filière aéronautique à développer les biocarburants aériens. Or personne, aujourd’hui, ne produit de biokérosène durable, aussi qualifié d’avancé ou de deuxième génération, c’est-à-dire fabriqué à partir de résidus agricoles (pailles, fumiers), de boues d’épuration, de déchets ménagers, végétaux et forestiers.
Pas encore de technologie aboutie
"On ne sait pas produire de biocarburant de deuxième génération à l’échelle des 2 à 5 % d’incorporation prévus pour le transport aérien d’ici à 2030. Et pas seulement chez Total", reconnaît le PDG du groupe, Patrick Pouyanné. À La Mède (Bouches-du-Rhône), Total ne fait que "du 1G ”plus” avec des huiles usagées", explique-t-il. Or les biocarburants réalisés à partir d’huiles usagées ont été exclus des biocarburants avancés par la directive européenne Red II. "Les produits issus de déchets de betterave et d’huiles alimentaires usées ne sont pas classés au même endroit", précise Bruno Gagnepain, ingénieur biocarburants à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Selon cette directive, il existe trois classes de biocarburants : les conventionnels, à base de cultures dédiées (colza, palme, betterave…), les avancés, à base de déchets, de micro-algues ou de micro-organismes, et les autres, notamment ceux à base d’huiles alimentaires usagées, de graisses animales et d’amidon résiduel. "L’idée est que ces matières ne voyagent pas. Nous avons vu qu’un marché pouvait se créer sur ces produits depuis l’Asie et les États-Unis et que des pratiques frauduleuses pouvaient apparaître", explique l’expert de l’Ademe.
De nombreux projets en cours
Résultat, le seul biocarburant avancé français est le bioéthanol ED95, produit par la coopérative Raisinor à partir de marc de raisin issu de la distillerie gardoise UDM. C’est pourquoi le gouvernement a lancé un appel à manifestation d’intérêt pour repérer les industriels prêts à investir dans cette activité en France. Sachant que les technologies sont disponibles… ou presque. Global Bioénergies a démontré la faisabilité de produire du biodiesel à partir de sucre résiduel de betteraves dans un démonstrateur en Allemagne, mais sa technologie intéresse surtout la cosmétique. De son côté l’IFP Énergies nouvelles (Ifpen) commercialise depuis 2019, via sa filiale Axens, une technologie de production de bioéthanol avancé à base de biomasse lignocellulosique (paille et bois), avec un prétraitement dont on "peut adapter les conditions opératoires en fonction de la biomasse, avec la production sur place de nos propres enzymes spécifiques", précise Jean-Christophe Viguié, le responsable du programme biomasse vers carburants de l’Ifpen. Le procédé a été validé dans le démonstrateur du projet Futurol (2010-2018, 11 partenaires, dont Total, 76,4 millions d’euros de budget), à Pomacle-Bazancourt (Marne). Selon Didier Houssin, le président de l’Ifpen, un contrat industriel devrait être signé en 2020. En revanche, le démonstrateur français BioTfuel (2012-2020, 5 partenaires, 178 millions d’euros), testé par Total à Dunkerque (Nord) avec prétraitement sur un site d’Avril à Venette (Oise), a été prolongé d’un an : après la biomasse lignocellulosique, d’autres intrants seront expérimentés.
Pour remplir les objectifs de 2 % de biokérosène en 2025 en France et de 3,5 % de biocarburants avancés dans les transports terrestres en Europe en 2030, les distributeurs de carburants ne sont pas totalement démunis. Si la plupart des démonstrateurs et des projets d’unités industrielles ont échoué ou fermé ces dernières années, quelques acteurs ont maintenu le cap. L’Ifpen a dénombré huit unités en production, principalement au Brésil et aux États-Unis, et dix-neuf en construction. L’italien ENI a relancé dans la péninsule l’unité de bioéthanol à partir de paille à Crescentino. Le chimiste suisse Clariant a obtenu un financement européen pour monter une unité en Roumanie à partir de déchets agricoles, "et quatre autres sous licence Clariant sont en construction", indique Jean-Christophe Viguié. Enfin, l’indien Praj Industries a annoncé douze projets en Inde, dont six sont déjà financés.
DES OBJECTIFS CLAIRS
Europe
14 % d'énergies renouvelables (dont biogaz) dans le transport terrestre en 2030, dont 3,5 % de biocarburants avancés (à base de déchets végétaux)
France
Limitation à 7 % des biocarburants conventionnels (à base de cultures dédiées)
3,8 % de biocarburants avancés dans l'essence et 2,8 % dans le diesel en 2028.
Le pari microalgues de Total
Total croit aux biocarburants à base de microalgues. Depuis 2010, le groupe a déjà investi 10 millions d’euros en recherche et développement via des partenariats avec le CEA, la Qatar University et, en Chine, avec le Qingdao institute of bioenergy and bioprocess technology. "Nous allons dépenser de 4 à 5 millions d’euros par an", prévient François Ioos, le directeur biofuels de Total. Avec un objectif précis, "la construction d’un démonstrateur de culture industrielle de microalgues sur un hectare d’ici cinq à dix ans", précise-il. Il pourrait être installé sur le site de La Mède (Bouches-du-Rhône), où le groupe vient de mettre en service une bioraffinerie produisant un type de biodiesel, le HVO, à partir d’huiles végétales. Le lieu concentre tout ce qui est nécessaire à la culture massive de microalgues : de l’espace, du soleil et du CO2 récupérable dans les unités industrielles voisines. Donner un débouché au CO2 émis par l’industrie est l’un des atouts de la culture des microalgues. Le projet Vasco 2, à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), mené par Total avec Kem One, ArcelorMittal, Solamat-Merex et huit autres partenaires, vient de le démontrer. En outre, la productivité surfacique est élevée sur des terres impropres à l’agriculture et ne nécessite pas d’eau douce. Mais Total ne veut pas cultiver n’importe quelles microalgues. Seules l’intéressent celles qui produisent des lipides transformables en biocarburant. La sélection des souches les plus productives, en écartant celles qui rejettent de l’oxyde nitreux (N20), au potentiel d’effet de serre 300 fois supérieur au CO2, est en cours, notamment avec le CEA. Celles qui savent produire de l’hydrogène ou directement un hydrocarbure, très loin d’être maîtrisées, ne l’intéressent pas... pour le moment.
https://www.usinenouvelle.com/article/l ... es.N933264
[quote] [b][size=120]Le laborieux décollage des biocarburants avancés[/size][/b]
AURÉLIE BARBAUX Usine Nouvelle 02/03/2020
[b] La France veut du biokérosène durable pour verdir son transport aérien. Mais elle ne dispose pour l’instant d’aucune unité industrielle pour le produire.[/b]
C'est écrit dans la stratégie nationale bas carbone. Pour verdir son transport aérien, la France veut substituer le kérosène fossile par 2 % de biocarburants durables en 2025 et 5 % en 2030. Mais Élisabeth Borne, la ministre de la Transition écologique et solidaire, a rappelé, fin janvier à Toulouse, que ces biocarburants de nouvelle génération ne devaient pas avoir "d’impact sur la déforestation et qu’ils n’entreront pas en concurrence avec la production agricole".
Une déclaration adressée à Airbus, Air France, Safran, Total et Suez, signataires en 2017 d’un engagement de la filière aéronautique à développer les biocarburants aériens. Or personne, aujourd’hui, ne produit de biokérosène durable, aussi qualifié d’avancé ou de deuxième génération, c’est-à-dire fabriqué à partir de résidus agricoles (pailles, fumiers), de boues d’épuration, de déchets ménagers, végétaux et forestiers.
[b]Pas encore de technologie aboutie[/b]
"On ne sait pas produire de biocarburant de deuxième génération à l’échelle des 2 à 5 % d’incorporation prévus pour le transport aérien d’ici à 2030. Et pas seulement chez Total", reconnaît le PDG du groupe, Patrick Pouyanné. À La Mède (Bouches-du-Rhône), Total ne fait que "du 1G ”plus” avec des huiles usagées", explique-t-il. Or les biocarburants réalisés à partir d’huiles usagées ont été exclus des biocarburants avancés par la directive européenne Red II. "Les produits issus de déchets de betterave et d’huiles alimentaires usées ne sont pas classés au même endroit", précise Bruno Gagnepain, ingénieur biocarburants à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Selon cette directive, il existe trois classes de biocarburants : les conventionnels, à base de cultures dédiées (colza, palme, betterave…), les avancés, à base de déchets, de micro-algues ou de micro-organismes, et les autres, notamment ceux à base d’huiles alimentaires usagées, de graisses animales et d’amidon résiduel. "L’idée est que ces matières ne voyagent pas. Nous avons vu qu’un marché pouvait se créer sur ces produits depuis l’Asie et les États-Unis et que des pratiques frauduleuses pouvaient apparaître", explique l’expert de l’Ademe.
[b]De nombreux projets en cours[/b]
Résultat, le seul biocarburant avancé français est le bioéthanol ED95, produit par la coopérative Raisinor à partir de marc de raisin issu de la distillerie gardoise UDM. C’est pourquoi le gouvernement a lancé un appel à manifestation d’intérêt pour repérer les industriels prêts à investir dans cette activité en France. Sachant que les technologies sont disponibles… ou presque. Global Bioénergies a démontré la faisabilité de produire du biodiesel à partir de sucre résiduel de betteraves dans un démonstrateur en Allemagne, mais sa technologie intéresse surtout la cosmétique. De son côté l’IFP Énergies nouvelles (Ifpen) commercialise depuis 2019, via sa filiale Axens, une technologie de production de bioéthanol avancé à base de biomasse lignocellulosique (paille et bois), avec un prétraitement dont on "peut adapter les conditions opératoires en fonction de la biomasse, avec la production sur place de nos propres enzymes spécifiques", précise Jean-Christophe Viguié, le responsable du programme biomasse vers carburants de l’Ifpen. Le procédé a été validé dans le démonstrateur du projet Futurol (2010-2018, 11 partenaires, dont Total, 76,4 millions d’euros de budget), à Pomacle-Bazancourt (Marne). Selon Didier Houssin, le président de l’Ifpen, un contrat industriel devrait être signé en 2020. En revanche, le démonstrateur français BioTfuel (2012-2020, 5 partenaires, 178 millions d’euros), testé par Total à Dunkerque (Nord) avec prétraitement sur un site d’Avril à Venette (Oise), a été prolongé d’un an : après la biomasse lignocellulosique, d’autres intrants seront expérimentés.
Pour remplir les objectifs de 2 % de biokérosène en 2025 en France et de 3,5 % de biocarburants avancés dans les transports terrestres en Europe en 2030, les distributeurs de carburants ne sont pas totalement démunis. Si la plupart des démonstrateurs et des projets d’unités industrielles ont échoué ou fermé ces dernières années, quelques acteurs ont maintenu le cap. L’Ifpen a dénombré huit unités en production, principalement au Brésil et aux États-Unis, et dix-neuf en construction. L’italien ENI a relancé dans la péninsule l’unité de bioéthanol à partir de paille à Crescentino. Le chimiste suisse Clariant a obtenu un financement européen pour monter une unité en Roumanie à partir de déchets agricoles, "et quatre autres sous licence Clariant sont en construction", indique Jean-Christophe Viguié. Enfin, l’indien Praj Industries a annoncé douze projets en Inde, dont six sont déjà financés.
[b]DES OBJECTIFS CLAIRS[/b]
Europe
14 % d'énergies renouvelables (dont biogaz) dans le transport terrestre en 2030, dont 3,5 % de biocarburants avancés (à base de déchets végétaux)
France
Limitation à 7 % des biocarburants conventionnels (à base de cultures dédiées)
3,8 % de biocarburants avancés dans l'essence et 2,8 % dans le diesel en 2028.
[b]Le pari microalgues de Total[/b]
Total croit aux biocarburants à base de microalgues. Depuis 2010, le groupe a déjà investi 10 millions d’euros en recherche et développement via des partenariats avec le CEA, la Qatar University et, en Chine, avec le Qingdao institute of bioenergy and bioprocess technology. "Nous allons dépenser de 4 à 5 millions d’euros par an", prévient François Ioos, le directeur biofuels de Total. Avec un objectif précis, "la construction d’un démonstrateur de culture industrielle de microalgues sur un hectare d’ici cinq à dix ans", précise-il. Il pourrait être installé sur le site de La Mède (Bouches-du-Rhône), où le groupe vient de mettre en service une bioraffinerie produisant un type de biodiesel, le HVO, à partir d’huiles végétales. Le lieu concentre tout ce qui est nécessaire à la culture massive de microalgues : de l’espace, du soleil et du CO2 récupérable dans les unités industrielles voisines. Donner un débouché au CO2 émis par l’industrie est l’un des atouts de la culture des microalgues. Le projet Vasco 2, à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), mené par Total avec Kem One, ArcelorMittal, Solamat-Merex et huit autres partenaires, vient de le démontrer. En outre, la productivité surfacique est élevée sur des terres impropres à l’agriculture et ne nécessite pas d’eau douce. Mais Total ne veut pas cultiver n’importe quelles microalgues. Seules l’intéressent celles qui produisent des lipides transformables en biocarburant. La sélection des souches les plus productives, en écartant celles qui rejettent de l’oxyde nitreux (N20), au potentiel d’effet de serre 300 fois supérieur au CO2, est en cours, notamment avec le CEA. Celles qui savent produire de l’hydrogène ou directement un hydrocarbure, très loin d’être maîtrisées, ne l’intéressent pas... pour le moment.
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https://www.usinenouvelle.com/article/le-laborieux-decollage-des-biocarburants-avances.N933264