Barrage hydroélectrique géant au Tibet : les faits sur le projet chinois
par Bernard Tardieu
Vice-président du pôle Énergie de l’Académie des technologies
Ancien vice-président de la commission internationale des grands barrages
28 aout 2025 connaissancedesenergies.org
Cet été ont débuté les travaux préparatoires d’un très grand aménagement hydroélectrique chinois au Tibet, avec une cérémonie d’inauguration organisée à cette occasion mi-juillet. Ce projet inclut cinq usines hydroélectriques entre la ville de Lingzhi (altitude 2 900 m) et la ville de Medog (altitude 700 mètres), avec une puissance attendue d’environ 60 GW. Soit approximativement la capacité installée de l’ensemble du parc nucléaire français. Que sait-on aujourd’hui de ce projet titanesque(1) ?
Où est implanté le méga-barrage chinois ?
Le Yarlung Tsangpo est la partie amont du fleuve appelé Brahmapoutre en Inde. Il coule sur le plateau tibétain à environ 4 000 mètres d’altitude, collectant la part de l’eau de la fonte des neiges du massif himalayen s'écoulant vers le nord et l’est. Ce fleuve s’écoule alors d’ouest en est, puis tourne vers le sud. Il entre en Inde, et, après une forte chute, arrive dans l’Arunachal Pradesh, puis rejoint à basse altitude le Gange et la Meghna.
Cette section du Yarlung Tsangpo, entourée de chaînes de montagnes enneigées, présente une dénivelée de 2 200 mètres sur 100 km. Le débit moyen du fleuve est égal à 3 500 m3/s , soit environ 2 fois le débit moyen du Rhône et plus de 7 fois celui de la Seine(2).
Les analyses géologiques, géotechniques et sismotectoniques commencent et la conception est loin d’être achevée. L’ensemble de l’aménagement est situé dans des gorges présentant des méandres marqués.
Quelle sera la contribution de cet aménagement ?
Ceci conduit à une puissance installée possible d’environ 60 GW, répartie en 5 chutes et comprenant des tunnels, des usines souterraines et des barrages, supposés pour l’instant « barrages voutes » sur le modèle des autres grandes infrastructures chinoises de Xiluodou par exemple (12,6 GW) ou Baihetan (16 GW).
Il est prévu d’installer des turbines Francis de 1 000 MW (aujourd’hui, les plus fortes puissances unitaires sont comprises entre 750 MW et 800 MW). Cela suppose des capacités de forgeage et d’usinage adaptées et la résolution des problèmes de vibration.
Si l’ensemble des cinq usines fonctionne au fil de l’eau 6 000 heures par an (70% du temps), c’est-à-dire sans stocker de volume d’eau, la production pour 6 000 heures annuelles de fonctionnement serait de 360 TWh, soit davantage que la production cumulée d’électricité de l’Espagne et du Portugal en 2024(3).
Quel impact pour les populations ?
Le site de l’aménagement au Tibet est situé dans une région difficile d’accès et isolée. Actuellement, aucune donnée sur les populations concernées à l’amont et à l’aval n’est communiquée.
L’implication des intérêts des populations du Tibet retient l’attention des observateurs internationaux. Le volume des lacs de retenue n’est pas connu. Il semble qu’un grand volume de stockage d’eau n’est pas envisagé, compte tenu de la relative régularité des débits du Yarlung Tsangpo. Or, c’est le volume des lacs de retenue qui a un impact significatif sur les populations à l’amont et à l’aval de l’aménagement, cet impact étant important en particulier lors du premier remplissage comme on l’a analysé dans le cas du barrage Renaissance en Éthiopie dont le volume du réservoir est considérable.
Précisons également que cette région très isolée est située loin des zones de consommation d’électricité comme la région de Chengdu. La solution de transport d’électricité sera très probablement en courant continu (700 kV ou 1 000 kV), compte tenu des progrès en électronique de puissance et en capacité de sectionnement, notamment en Chine. Le développement des accès (ferroviaire, routier, aérien) pour apporter les équipements de chantier, le ciment, les aciers, les pièces d’équipement, sera en soi une entreprise considérable qui va durer un certain temps.