par energy_isere » 01 août 2025, 21:58
Russie: après des années de résultats exceptionnels, le secteur du charbon au bord de l'implosion
Par Benjamin Laurent 1er aout 2025
La Russie a longtemps bénéficié des perturbations économiques engendrées par la pandémie de Covid-19, ainsi que de sa guerre à grande échelle contre Kiev. L'explosion des prix des hydrocarbures a permis à Moscou de financer le conflit en Ukraine et de maintenir l'économie à flot malgré les sanctions internationales.
Le charbon a ainsi bénéficié, comme le pétrole et le gaz, d'une forte hausse de demande et de prix entre 2021 et 2023. Mais l'augmentation de la production de plusieurs pays, notamment la Chine, l'Inde, la Turquie, et la Corée du Sud, a mis en concurrence le charbon russe et celui de plusieurs de ses partenaires commerciaux. La hausse de la demande s'est également ralentie, passant de 4,7% en 2022 à 1% en 2024 selon le Moscow Times. Le prix de la tonne de charbon, qui avait dépassé les 400 dollars la tonne en 2022, est donc retombé en mai 2025 à son prix de mai 2021, environ 100 dollars la tonne.
Réseau d'infrastructures insuffisant
Cette tendance conjoncturelle se combine à la décision de l'Union européenne de placer un embargo sur le charbon russe, forçant Moscou à se tourner vers des clients asiatiques, qui ont profité de leur position de force pour négocier des prix relativement faibles.
Comme le pointe The Insider, cette stratégie de "pivot vers l'Est" portée par le Kremlin suscitait déjà des inquiétudes en 2022 : les lignes logistiques permettant au charbon russe d'approvisionner l'Europe ont été mises en place durant des décennies. Du côté sibérien, en revanche, les quelques infrastructures existantes, comme le Transsibérien ou la ligne Magistrale Baïkal-Amour, ont été rapidement débordées par l'afflux de marchandises, alors que les produits à plus forte valeur ajoutée ont été priorisés pour le transport.
Ces mêmes sanctions occidentales ont eu un effet plus lent et insidieux, mais tout aussi important : le remplacement progressif des équipements d'excavation américains et japonais par leurs équivalents chinois. Ces derniers, que la Russie peut acheter sans contraintes, restent moins efficaces, engendrant une hausse de 30 % des coûts d'exploitation selon The Insider. De quoi ruiner tout bénéfice potentiel : selon le journal économique russe Vedomosti, le prix d'une tonne de charbon exportée dans les ports de l'Extrême-Orient russe s'est effondré à 69 dollars, trop bas pour couvrir les coûts de nombreuses entreprises.
Risque politique et économique
Il est cependant hautement improbable que le gouvernement laisse s'effondrer le secteur : la moitié du charbon russe est destinée à la consommation intérieure, et le bouquet énergétique de plusieurs régions repose à plus de 50 % sur le charbon.
L'industrie emploie par ailleurs 146 500 personnes, selon le Moscow Times, notamment dans le "Kouzbass", principal gisement de cette roche en Sibérie, où la situation est dramatique : certaines entreprises ont dû stopper leur production de charbon, tandis que plusieurs autres ne parviennent à payer leurs employés qu'avec des mois de retard.
Abandonner les entreprises à leur sort risquerait de déclencher un mouvement social important, que ce soit du côté des mineurs récoltant le charbon, ou du côté des populations en dépendant pour se chauffer.
Subventions massives pour le charbon
Le président Vladimir Poutine a en conséquence approuvé en juin un plan d'aide visant à stabiliser les exportations, mais les subventions données au secteur dans les prochaines années coûteront cher à l'État. Selon le média russe RBK, plus de cinquante entreprises de charbon russes sont au bord de la faillite ou ont récemment fermé, et les pertes estimées par le ministère de l'énergie pour 2025 s'élèveront à plus de 3,2 milliards de dollars.
Cette crise du charbon est malvenue pour le régime russe, alors que le déficit budgétaire a explosé en 2025 en raison du financement de l'effort de guerre, et que Moscou ne peut plus facilement emprunter d'argent à l'étranger en raison des sanctions internationales. Si le marché ne connaît aucun regain de demande de charbon, par exemple en raison de l'augmentation des capacités industrielles de pays comme le Vietnam ou l'Inde, le Kremlin risque donc de devoir porter à bout de bras un secteur non rentable pendant les années à venir.
https://www.geo.fr/geopolitique/russie- ... ion-227902
[quote] [b][size=110]Russie: après des années de résultats exceptionnels, le secteur du charbon au bord de l'implosion[/size][/b]
Par Benjamin Laurent 1er aout 2025
La Russie a longtemps bénéficié des perturbations économiques engendrées par la pandémie de Covid-19, ainsi que de sa guerre à grande échelle contre Kiev. L'explosion des prix des hydrocarbures a permis à Moscou de financer le conflit en Ukraine et de maintenir l'économie à flot malgré les sanctions internationales.
Le charbon a ainsi bénéficié, comme le pétrole et le gaz, d'une forte hausse de demande et de prix entre 2021 et 2023. Mais l'augmentation de la production de plusieurs pays, notamment la Chine, l'Inde, la Turquie, et la Corée du Sud, a mis en concurrence le charbon russe et celui de plusieurs de ses partenaires commerciaux. La hausse de la demande s'est également ralentie, passant de 4,7% en 2022 à 1% en 2024 selon le Moscow Times. Le prix de la tonne de charbon, qui avait dépassé les 400 dollars la tonne en 2022, est donc retombé en mai 2025 à son prix de mai 2021, environ 100 dollars la tonne.
[b]Réseau d'infrastructures insuffisant[/b]
Cette tendance conjoncturelle se combine à la décision de l'Union européenne de placer un embargo sur le charbon russe, forçant Moscou à se tourner vers des clients asiatiques, qui ont profité de leur position de force pour négocier des prix relativement faibles.
Comme le pointe The Insider, cette stratégie de "pivot vers l'Est" portée par le Kremlin suscitait déjà des inquiétudes en 2022 : les lignes logistiques permettant au charbon russe d'approvisionner l'Europe ont été mises en place durant des décennies. Du côté sibérien, en revanche, les quelques infrastructures existantes, comme le Transsibérien ou la ligne Magistrale Baïkal-Amour, ont été rapidement débordées par l'afflux de marchandises, alors que les produits à plus forte valeur ajoutée ont été priorisés pour le transport.
Ces mêmes sanctions occidentales ont eu un effet plus lent et insidieux, mais tout aussi important : le remplacement progressif des équipements d'excavation américains et japonais par leurs équivalents chinois. Ces derniers, que la Russie peut acheter sans contraintes, restent moins efficaces, engendrant une hausse de 30 % des coûts d'exploitation selon The Insider. De quoi ruiner tout bénéfice potentiel : selon le journal économique russe Vedomosti, [color=#FF0000]le prix d'une tonne de charbon exportée dans les ports de l'Extrême-Orient russe s'est effondré à 69 dollars, trop bas pour couvrir les coûts de nombreuses entreprises.[/color]
[b]Risque politique et économique[/b]
Il est cependant hautement improbable que le gouvernement laisse s'effondrer le secteur : la moitié du charbon russe est destinée à la consommation intérieure, et le bouquet énergétique de plusieurs régions repose à plus de 50 % sur le charbon.
L'industrie emploie par ailleurs 146 500 personnes, selon le Moscow Times, notamment dans le "Kouzbass", principal gisement de cette roche en Sibérie, où la situation est dramatique : certaines entreprises ont dû stopper leur production de charbon, tandis que plusieurs autres ne parviennent à payer leurs employés qu'avec des mois de retard.
Abandonner les entreprises à leur sort risquerait de déclencher un mouvement social important, que ce soit du côté des mineurs récoltant le charbon, ou du côté des populations en dépendant pour se chauffer.
[b]Subventions massives pour le charbon[/b]
Le président Vladimir Poutine a en conséquence approuvé en juin un plan d'aide visant à stabiliser les exportations, mais les subventions données au secteur dans les prochaines années coûteront cher à l'État. Selon le média russe RBK, plus de cinquante entreprises de charbon russes sont au bord de la faillite ou ont récemment fermé, et les pertes estimées par le ministère de l'énergie pour 2025 s'élèveront à plus de 3,2 milliards de dollars.
Cette crise du charbon est malvenue pour le régime russe, alors que le déficit budgétaire a explosé en 2025 en raison du financement de l'effort de guerre, et que Moscou ne peut plus facilement emprunter d'argent à l'étranger en raison des sanctions internationales. Si le marché ne connaît aucun regain de demande de charbon, par exemple en raison de l'augmentation des capacités industrielles de pays comme le Vietnam ou l'Inde, le Kremlin risque donc de devoir porter à bout de bras un secteur non rentable pendant les années à venir.
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https://www.geo.fr/geopolitique/russie-apres-des-annees-de-resultats-exceptionnels-le-secteur-du-charbon-au-bord-de-l-implosion-227902