par energy_isere » 26 févr. 2024, 19:55
ENTRETIEN. « Le but de GTT est d’apporter des solutions technologiques pour un monde plus durable »
À l’occasion des 10 ans d’introduction en Bourse de GTT, son PDG Philippe Berterottière revient sur le parcours accompli par l’entreprise leader mondial des membranes cryogéniques équipant les méthaniers et ses pistes multiples de diversification.
Frédérick AUVRAY. Publié le 26/02/2024 Le marin
Dix ans après l’introduction en Bourse, quelle différence entre le GTT de 2014 et celui de 2024 ?
En 2014, GTT était une équipe de 300 personnes dont la seule mission était de fournir nos membranes à une trentaine de méthaniers par an. En 2024, le groupe GTT rassemble 750 personnes qui travaillent non plus seulement sur son cœur de métier, mais aussi sur les cuves pour transporter le GNL carburant, les éthaniers, les réservoirs terrestres, les solutions digitales pour les navires. Notre activité est bien plus diversifiée aujourd’hui. Depuis trois ans, nous concevons et fabriquons également des électrolyseurs pour la production d’hydrogène vert. Dans le même temps, notre part de marché sur les méthaniers est passée de 90 à 100 %. Notre position sur le marché est bien plus solide, ce qui nous permet d’acquérir des sociétés en dehors de notre périmètre d’origine.
Depuis 2014, 339 méthaniers ont été livrés. 345 autres sont actuellement en commande alors que GTT n’a plus de concurrent. L’horizon est-il totalement dégagé sur votre cœur de métier ?
Il est vrai que depuis 2016, tous les contrats d’équipement des méthaniers se sont tournés exclusivement vers nos membranes. Mais d’autres systèmes sont toujours possibles comme les cuves de type B de forme sphérique ou prismatique. Cela fonctionne, même si cela reste une solution plus chère et moins performante. Dans un contexte géopolitique tendu, des pays peuvent aussi faire le choix de se tourner vers des solutions nationales. Pour l’heure, nos membranes bénéficient de la totale confiance des armateurs. En 60 ans d’existence, aucune collision ou même échouage d’un méthanier équipé par nos soins ne s’est traduit par une perforation de la membrane. Cette position de force sur le marché avec une visibilité de commandes jusqu’en 2029 nous apporte surtout du temps. Du temps pour renforcer nos développements et nos innovations et aller plus vite vers des solutions technologiques en faveur d’un monde plus durable.
Sur le marché du GNL carburant, la membrane a bien percé sur les porte-conteneurs mais pas sur les autres grands navires que ce soit les paquebots, les pétroliers ou les voituriers. Une semi-réussite ?
Le GNL carburant est un marché récent. Il faut encore du temps pour qu’il se développe pleinement. Le marché a ralenti avec l’envolée des prix du gaz, dans un contexte de guerre en Ukraine, en faveur d’autres carburants alternatifs, comme le méthanol. Aujourd’hui, d’une part, le contexte des prix du gaz est beaucoup plus favorable au GNL carburant et, d’autre part, on se rend compte que le méthanol vert ne sera pas disponible en quantités suffisantes avant au moins 10 ans. De même pour l’ammoniac vert qui pose en outre de graves questions de toxicité et de maîtrise des émissions de protoxyde d’azote qui est un gaz à effet de serre très puissant. Le GNL a pour lui l’atout d’être déjà largement disponible pour un coût supportable avec une réduction déjà conséquente de réduction des émissions de CO2. Cela prendra du temps, mais nous sommes confiants car la membrane a l’avantage d’occuper moins d’espace à bord d’un navire. Cela reste un critère important pour un grand comme pour un petit navire.
Toujours sur le terrain de la diversification, comment GTT se positionne vis-à-vis du transport de CO2, de l’hydrogène et même de l’ammoniac, qui permettrait de transporter en son sein de l’hydrogène sous forme liquide ?
Pour le CO2, les caractères physiques en termes de pression et de température ne rendent pas la solution de la membrane pertinente pour son transport. C’est tout le contraire pour l’hydrogène liquéfié par -253 °C. La concurrence de l’ammoniac comme vecteur de transport de l’hydrogène n’existe que sur le papier. Le coût de production de l’ammoniac vert puis du reformage de l’hydrogène à l’arrivée serait bien plus élevé que les surcoûts d’un navire hydrogénier. L’enjeu central reste le transport de l’hydrogène. La production actuelle d’hydrogène gris issu du gaz naturel est responsable de 3 % des émissions mondiales de CO2. Autant que le transport maritime. C’est une situation à changer d’urgence. Il faut produire l’hydrogène vert par électrolyse là où les prix de l’électricité sont les plus favorables et donc le transporter massivement vers les pays utilisateurs. Notre travail avec l’approbation de principe du Bureau Veritas de notre concept d’hydrogénier de 150 000 m3 est d’apporter une solution technique crédible aux décideurs.
Mais le transport d’ammoniac est lui-même appelé à se développer avec de nombreuses commandes de navires. Êtes-vous absent de ce marché ?
Nous suivons de très près ces développements car l’ammoniac est l’ingrédient principal pour produire les engrais agricoles avec là aussi une volonté là aussi de décarboner sa production avec de l’ammoniac vert issu lui-même d’hydrogène vert. GTT développe la multi-utilisation de ses membranes qui pourraient à la fois servir au transport de GNL et d’ammoniac.
Parmi vos filiales, Elogen travaille sur les électrolyseurs et Ascenz Marorka sur les services numériques aux navires. De quels services s’agit-il ?
Cela va de la gestion du boil-off, l’évaporation naturelle du GNL, à l’optimisation globale du navire pour pouvoir conseiller au mieux les armateurs. Cela inclut le routage météo avec des algorithmes très poussés. Le cadre réglementaire qui impose une réduction de l’empreinte carbone des navires pousse à une gestion plus fine des flottes. Pour cela, les outils numériques sont incontournables. Il y a beaucoup de propositions sur le marché, mais peu en réalité prennent en compte les spécificités du monde maritime. Il faut des solutions numériques qui soient à la fois simples d’utilisation et très performantes.
En plus de la direction de GTT, vous assurez aussi le pilotage du comité de filière des industries de la mer. Pensez-vous que les acteurs français peuvent prendre une part sur ce grand marché de la décarbonation ?
J’ai l’âge de ceux qui se souviennent du slogan En France on n’a pas de pétrole, mais on a des idées. Des idées sur la décarbonation, on n’en manque pas dans la filière. Le souci est de passer de l’idée à son industrialisation. C’est un enjeu qui touche tous les secteurs industriels et que je considère comme sociétal. Industrialiser, cela veut dire des financements mais aussi des ressources humaines, des compétences qu’il faut attirer et conserver. C’est un problème complexe qui va de l’attractivité des métiers à des préoccupations très concrètes comme l’accès au logement. Beaucoup de paramètres qui ne me permettent pas de répondre par un simple oui ou non à cette question.
https://lemarin.ouest-france.fr/energie ... a85cc09741
[quote] [b]ENTRETIEN. « Le but de GTT est d’apporter des solutions technologiques pour un monde plus durable »[/b]
À l’occasion des 10 ans d’introduction en Bourse de GTT, son PDG Philippe Berterottière revient sur le parcours accompli par l’entreprise leader mondial des membranes cryogéniques équipant les méthaniers et ses pistes multiples de diversification.
Frédérick AUVRAY. Publié le 26/02/2024 Le marin
[b]Dix ans après l’introduction en Bourse, quelle différence entre le GTT de 2014 et celui de 2024 ?[/b]
En 2014, GTT était une équipe de 300 personnes dont la seule mission était de fournir nos membranes à une trentaine de méthaniers par an. En 2024, le groupe GTT rassemble 750 personnes qui travaillent non plus seulement sur son cœur de métier, mais aussi sur les cuves pour transporter le GNL carburant, les éthaniers, les réservoirs terrestres, les solutions digitales pour les navires. Notre activité est bien plus diversifiée aujourd’hui. Depuis trois ans, nous concevons et fabriquons également des électrolyseurs pour la production d’hydrogène vert. Dans le même temps, notre part de marché sur les méthaniers est passée de 90 à 100 %. Notre position sur le marché est bien plus solide, ce qui nous permet d’acquérir des sociétés en dehors de notre périmètre d’origine.
[b]Depuis 2014, 339 méthaniers ont été livrés. 345 autres sont actuellement en commande alors que GTT n’a plus de concurrent. L’horizon est-il totalement dégagé sur votre cœur de métier ?[/b]
Il est vrai que depuis 2016, tous les contrats d’équipement des méthaniers se sont tournés exclusivement vers nos membranes. Mais d’autres systèmes sont toujours possibles comme les cuves de type B de forme sphérique ou prismatique. Cela fonctionne, même si cela reste une solution plus chère et moins performante. Dans un contexte géopolitique tendu, des pays peuvent aussi faire le choix de se tourner vers des solutions nationales. Pour l’heure, nos membranes bénéficient de la totale confiance des armateurs. En 60 ans d’existence, aucune collision ou même échouage d’un méthanier équipé par nos soins ne s’est traduit par une perforation de la membrane. Cette position de force sur le marché avec une visibilité de commandes jusqu’en 2029 nous apporte surtout du temps. Du temps pour renforcer nos développements et nos innovations et aller plus vite vers des solutions technologiques en faveur d’un monde plus durable.
[b]Sur le marché du GNL carburant, la membrane a bien percé sur les porte-conteneurs mais pas sur les autres grands navires que ce soit les paquebots, les pétroliers ou les voituriers. Une semi-réussite ?[/b]
Le GNL carburant est un marché récent. Il faut encore du temps pour qu’il se développe pleinement. Le marché a ralenti avec l’envolée des prix du gaz, dans un contexte de guerre en Ukraine, en faveur d’autres carburants alternatifs, comme le méthanol. Aujourd’hui, d’une part, le contexte des prix du gaz est beaucoup plus favorable au GNL carburant et, d’autre part, on se rend compte que le méthanol vert ne sera pas disponible en quantités suffisantes avant au moins 10 ans. De même pour l’ammoniac vert qui pose en outre de graves questions de toxicité et de maîtrise des émissions de protoxyde d’azote qui est un gaz à effet de serre très puissant. Le GNL a pour lui l’atout d’être déjà largement disponible pour un coût supportable avec une réduction déjà conséquente de réduction des émissions de CO2. Cela prendra du temps, mais nous sommes confiants car la membrane a l’avantage d’occuper moins d’espace à bord d’un navire. Cela reste un critère important pour un grand comme pour un petit navire.
[b]Toujours sur le terrain de la diversification, comment GTT se positionne vis-à-vis du transport de CO2, de l’hydrogène et même de l’ammoniac, qui permettrait de transporter en son sein de l’hydrogène sous forme liquide ?[/b]
Pour le CO2, les caractères physiques en termes de pression et de température ne rendent pas la solution de la membrane pertinente pour son transport. C’est tout le contraire pour l’hydrogène liquéfié par -253 °C. La concurrence de l’ammoniac comme vecteur de transport de l’hydrogène n’existe que sur le papier. Le coût de production de l’ammoniac vert puis du reformage de l’hydrogène à l’arrivée serait bien plus élevé que les surcoûts d’un navire hydrogénier. L’enjeu central reste le transport de l’hydrogène. La production actuelle d’hydrogène gris issu du gaz naturel est responsable de 3 % des émissions mondiales de CO2. Autant que le transport maritime. C’est une situation à changer d’urgence. Il faut produire l’hydrogène vert par électrolyse là où les prix de l’électricité sont les plus favorables et donc le transporter massivement vers les pays utilisateurs. Notre travail avec l’approbation de principe du Bureau Veritas de notre concept d’hydrogénier de 150 000 m3 est d’apporter une solution technique crédible aux décideurs.
[b]Mais le transport d’ammoniac est lui-même appelé à se développer avec de nombreuses commandes de navires. Êtes-vous absent de ce marché ?[/b]
Nous suivons de très près ces développements car l’ammoniac est l’ingrédient principal pour produire les engrais agricoles avec là aussi une volonté là aussi de décarboner sa production avec de l’ammoniac vert issu lui-même d’hydrogène vert. GTT développe la multi-utilisation de ses membranes qui pourraient à la fois servir au transport de GNL et d’ammoniac.
[b]Parmi vos filiales, Elogen travaille sur les électrolyseurs et Ascenz Marorka sur les services numériques aux navires. De quels services s’agit-il ?[/b]
Cela va de la gestion du boil-off, l’évaporation naturelle du GNL, à l’optimisation globale du navire pour pouvoir conseiller au mieux les armateurs. Cela inclut le routage météo avec des algorithmes très poussés. Le cadre réglementaire qui impose une réduction de l’empreinte carbone des navires pousse à une gestion plus fine des flottes. Pour cela, les outils numériques sont incontournables. Il y a beaucoup de propositions sur le marché, mais peu en réalité prennent en compte les spécificités du monde maritime. Il faut des solutions numériques qui soient à la fois simples d’utilisation et très performantes.
[b]En plus de la direction de GTT, vous assurez aussi le pilotage du comité de filière des industries de la mer. Pensez-vous que les acteurs français peuvent prendre une part sur ce grand marché de la décarbonation ?[/b]
J’ai l’âge de ceux qui se souviennent du slogan En France on n’a pas de pétrole, mais on a des idées. Des idées sur la décarbonation, on n’en manque pas dans la filière. Le souci est de passer de l’idée à son industrialisation. C’est un enjeu qui touche tous les secteurs industriels et que je considère comme sociétal. Industrialiser, cela veut dire des financements mais aussi des ressources humaines, des compétences qu’il faut attirer et conserver. C’est un problème complexe qui va de l’attractivité des métiers à des préoccupations très concrètes comme l’accès au logement. Beaucoup de paramètres qui ne me permettent pas de répondre par un simple oui ou non à cette question.
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https://lemarin.ouest-france.fr/energie/gnl/entretien-le-but-de-gtt-est-dapporter-des-solutions-technologiques-pour-un-monde-plus-durable-dae2ad9e-d486-11ee-8d5b-fea85cc09741