Le chauffage électrique est-il une aberration du point de vue thermodynamique ?
Cette question est régulièrement posée et il est légitime de se la poser.
En effet, plutôt que de transformer de façon coûteuse une énergie primaire, par exemple le gaz, en électricité pour obtenir de la chaleur, il semble bien préférable d’utiliser directement le gaz pour se chauffer.
Disons d’abord que ce raisonnement est vrai si l’électricité est choisie sans tenir compte de ses qualités intrinsèques, comme ce fut souvent le cas dans le logement social avant la réglementation d’avril 1988, avec des logements mal isolés et des convecteurs bon marché.
Cependant, l’électricité permet, si l’on s’en donne les moyens, une gestion intelligente de la consommation d’énergie. Son utilisation en lieu et place d’une énergie primaire, comme le fioul ou le gaz, peut être une source importante d’économie d’énergie.
On peut prendre comme exemple un autre mode de consommation d’énergie, la voiture. La voiture hybride serait a priori une aberration du point de vue thermodynamique. Pourquoi, dans le même véhicule, transformer de façon coûteuse de l’essence en électricité avec un moteur à essence, pour ensuite se déplacer avec un moteur électrique ? Et pourtant, la transformation de l’essence en électricité et l’utilisation intelligente de l’électricité permet d’économiser 40 % de l’essence consommée.
Pour ce qui concerne le chauffage électrique, il en est de même. L’étude du CEREN * que l’on trouve à l’adresse Internet suivante,
http://www.industrie.gouv.fr/energie/de ... _chauf.htm, et qui porte sur des logements construits entre 1988 et 1998, montre que la consommation réelle pour le chauffage est en moyenne de 174 kWh/m2 pour une maison chauffée au gaz et de 63 kWh/m2 pour une maison chauffée à l’électricité, et qu’elle est de 161 kWh/m2 pour un appartement chauffé au gaz et de 64 kWh/m2 pour un appartement chauffé à l’électricité. Les raisons de cet écart important sont parfaitement expliquées dans la note ci-dessus. Elles tiennent pour l’essentiel à la technique et aux comportements que permet le chauffage électrique. Cette étude démontre que le chauffage électrique n’est pas une aberration thermodynamique s’il est correctement utilisé, et réglementairement encadré. Au contraire, il est source d’économie d’énergie, et tout particulièrement d’énergie fossile**.
Le chauffage électrique entraîne-t-il, en hiver, une surconsommation d’électricité qui ne serait couverte que par les centrales au charbon, au fioul ou au gaz, produisant par là plus d’émission de CO2 ? Là encore toutes les données disponibles disent le contraire.
Si l’on compare les chiffres de la France avec ceux de l’Allemagne (source AIE année 2000), la France émet 40 % de moins de CO2 que l’Allemagne par habitant et par an. 81 % de cette différence provient du mode de production de l’électricité et de la chaleur, 12 % de la consommation dans le tertiaire et le domestique, 7 % de la consommation dans l’industrie.
Quelle est l’origine des 12 % de cette différence dans le tertiaire et le domestique ? Les Français sont-ils plus vertueux que les Allemands dans les économies d’énergie ? Oui, certainement dans l’utilisation de l’automobile. Mais aussi la différence vient surtout de la consommation d’électricité, 3841 kWh/hab.an en France, 2890 kWh/hab.an en Allemagne, qui s’explique par le développement du chauffage électrique en France bien plus qu’en Allemagne.
Certes, cela implique une disponibilité équivalente de la puissance électrique des centrales nucléaires pendant les cinq à six mois de chauffage par an et aussi, pendant la période de plus basse température - l’équivalent d’un mois environ - d’un complément d’énergie électrique venant des centrales hydrauliques et des centrales thermiques. Dans ce dernier cas, lorsque les centrales thermiques fonctionnent, l’écart équivalent entre les émissions de CO2 des deux modes de chauffage, électricité ou gaz, diminue. Mais il est au total, sur l’ensemble de la saison très favorable au chauffage électrique, ceci dans la situation de la France. Le chauffage électrique est donc aussi source de réduction des émissions de CO2**.
En dehors de cette période de chauffage, l’énergie électrique d’origine nucléaire est disponible pour l’exportation, ce qui réduit pour nos voisins européens, Allemagne, Italie, Angleterre, leur combustion de combustibles fossiles et donc leurs émissions de CO2. Ceci n’est pas comptabilisé actuellement au bénéfice de la France.
Retenons toutefois que le chauffage électrique est aberrant lorsqu’il est pris comme chauffage d’appoint pendant les périodes de plus grand froid. Pour pallier la mauvaise isolation de locaux ou d’habitations et le sous-dimensionnement d’installations de chauffage, des radiateurs électriques d’appoint sont utilisés lorsque la température extérieure descend en dessous de zéro degré Celsius. Même si cette période, variable selon les années, ne dure que quelques jours, elle oblige à un surdimensionnement des capacités de production d’électricité de pointe et également du réseau électrique dont l’ordre de grandeur, pour ce seul mode de chauffage est de 10 000 MW. Cette situation est source également d’importantes émissions de CO2.
La meilleure des solutions, et c’est une priorité du Grenelle de l’Environnement, est une politique fortement incitatrice d’isolation des logements anciens. Une autre très bonne solution, lorsque cela est possible, c’est l’installation d’une pompe à chaleur performante de COP au moins égal à 3. Mais il serait aussi très utile d’écrire une réglementation sur le dimensionnement des chaudières fioul et gaz pour qu’elles permettent de faire face aux températures les plus basses constatées localement.
* Le CEREN est un groupement d’intérêt économique qui rassemblait à la date de l’étude l’ADEME, Gaz de France, Electricité de France et la SNET.
** Le raisonnement est particulièrement valable dans le cas de la France lorsque l’électricité est produite en base par l’énergie nucléaire. Il serait encore vrai, à un degré moindre, si l’électricité était produite à partir de gaz avec des cycles combiné à gaz dont le rendement est proche de 60 %.