par energy_isere » 19 juin 2025, 09:20
Derrière le contrat nucléaire avec KHNP, le pari risqué de Prague
Connaissance des Énergies avec AFP le 19 juin 2025
Contrat signé à la va-vite, recours en justice du groupe EDF et procédure de Bruxelles: l'accord nucléaire conclu par la République tchèque avec le sud-coréen KHNP est loin d'être gravé dans le marbre, selon des experts interrogés par l'AFP.
Début juin, le gouvernement a annoncé avoir bouclé ce dossier à 16 milliards d'euros qui s'éternise depuis des années, portant sur la construction de deux réacteurs à la centrale de Dukovany, située dans le sud.
C'est un investissement historique pour le pays d'Europe centrale de 10,9 millions d'habitants, qui se détourne du charbon et s'est affranchi du pétrole et du gaz venus de Moscou.
Mais "malgré cette signature, il y a de fortes chances que KHNP ne puisse bâtir au final ces unités", estime Petr Barton, économiste au sein de la plateforme d'analyse de données Datarun.
Car les obstacles sont nombreux.
Il y a d'abord la procédure engagée devant les tribunaux tchèques par l'électricien français éconduit lors de l'appel d'offres à l'été 2024. Une décision est attendue le 25 juin.
Il s'est aussi tourné vers la Commission européenne et une procédure est en cours pour vérifier que les règles du jeu ont bien été équitables, alors que la société sud-coréenne est soupçonnée d'avoir reçu des subventions faussant la concurrence.
Ce qui lui aurait permis de proposer une offre défiant toute concurrence: environ 200 milliards de couronnes tchèques pour la construction de chaque réacteur (8 milliards d'euros).
- "Audacieuse" décision -
Bruxelles agit dans le cadre d'un nouveau règlement visant à empêcher que les marchés soient faussés par des aides publiques déloyales d'Etats étrangers. Cet instrument a déjà été mis en oeuvre pour écarter des groupes chinois de contrats qu'ils avaient remportés.
Défiant les appels de l'UE à temporiser, la décision de la partie tchèque d'aller de l'avant, "en toute connaissance de cause", est "très audacieuse", selon l'analyste.
"Certes, les consommateurs seraient ravis" de payer moins cher pour leur électricité mais si ce bas prix s'explique par des subventions étrangères, "l'UE ne l'autorisera pas", dit-il.
Il s'attend à "de longues procédures, avec un gouvernement s'exposant à "l'humiliation" de voir le contrat capoter.
Jiri Gavor, à la tête de l'Association des fournisseurs indépendants d'électricité, émet lui aussi des doutes et s'inquiète davantage de la menace bruxelloise que de la justice tchèque.
"Que se passera-t-il si les autorités européennes donnent raison à EDF, alors qu'il existe un contrat signé?", lance-t-il, évoquant un "casse-tête juridique" et un possible impact financier "très désagréable" pour Prague.
Au lendemain de la signature, le ministre de l'Industrie Lukas Vlcek a défendu "la validité" de la procédure, tout en reconnaissant l'existence de "risques potentiels".
- "Ne soyons pas naïfs" -
"Ne soyons pas naïfs. Nous devons surmonter patiemment les obstacles, un par un, étape par étape", souligne-t-il, disant être "en contact étroit" avec l'exécutif européen.
Contacté par l'AFP, EDF s'est refusé à tout commentaire sur cette affaire qui envenime les relations bilatérales.
Autre inconnue, le schéma de financement: le gouvernement doit obtenir le feu vert de l'UE pour pouvoir subventionner la construction.
Bruxelles avait initialement donné son accord, mais les paramètres ont été modifiés entretemps.
"Il n'est pas certain que Prague ait l'aval, d'autant plus que l'offre sud-coréenne est en cours d'examen. Or KHNP ne va pas commencer la construction à ses frais", sans garantie, prévient M. Barton.
Le groupe énergétique tchèque CEZ, contrôlé par l'État, exploite deux centrales nucléaires, Temelin et Dukovany, toutes deux situées dans le sud du pays, qui représentent environ 40% de la production nationale d'électricité.
Avec les deux nouvelles unités et de petits réacteurs modulaires devant être construits d'ici à 2050, cette part pourrait grimper à la moitié.
Le chantier est censé débuter en 2029 pour une mise en service du premier réacteur en 2036.
https://www.connaissancedesenergies.org ... gue-250619
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Connaissance des Énergies avec AFP le 19 juin 2025
Contrat signé à la va-vite, recours en justice du groupe EDF et procédure de Bruxelles: l'accord nucléaire conclu par la République tchèque avec le sud-coréen KHNP est loin d'être gravé dans le marbre, selon des experts interrogés par l'AFP.
Début juin, le gouvernement a annoncé avoir bouclé ce dossier à 16 milliards d'euros qui s'éternise depuis des années, portant sur la construction de deux réacteurs à la centrale de Dukovany, située dans le sud.
C'est un investissement historique pour le pays d'Europe centrale de 10,9 millions d'habitants, qui se détourne du charbon et s'est affranchi du pétrole et du gaz venus de Moscou.
Mais "malgré cette signature, il y a de fortes chances que KHNP ne puisse bâtir au final ces unités", estime Petr Barton, économiste au sein de la plateforme d'analyse de données Datarun.
Car les obstacles sont nombreux.
Il y a d'abord la procédure engagée devant les tribunaux tchèques par l'électricien français éconduit lors de l'appel d'offres à l'été 2024. Une décision est attendue le 25 juin.
Il s'est aussi tourné vers la Commission européenne et une procédure est en cours pour vérifier que les règles du jeu ont bien été équitables, alors que la société sud-coréenne est soupçonnée d'avoir reçu des subventions faussant la concurrence.
Ce qui lui aurait permis de proposer une offre défiant toute concurrence: environ 200 milliards de couronnes tchèques pour la construction de chaque réacteur (8 milliards d'euros).
- "Audacieuse" décision -
Bruxelles agit dans le cadre d'un nouveau règlement visant à empêcher que les marchés soient faussés par des aides publiques déloyales d'Etats étrangers. Cet instrument a déjà été mis en oeuvre pour écarter des groupes chinois de contrats qu'ils avaient remportés.
Défiant les appels de l'UE à temporiser, la décision de la partie tchèque d'aller de l'avant, "en toute connaissance de cause", est "très audacieuse", selon l'analyste.
"Certes, les consommateurs seraient ravis" de payer moins cher pour leur électricité mais si ce bas prix s'explique par des subventions étrangères, "l'UE ne l'autorisera pas", dit-il.
Il s'attend à "de longues procédures, avec un gouvernement s'exposant à "l'humiliation" de voir le contrat capoter.
Jiri Gavor, à la tête de l'Association des fournisseurs indépendants d'électricité, émet lui aussi des doutes et s'inquiète davantage de la menace bruxelloise que de la justice tchèque.
"Que se passera-t-il si les autorités européennes donnent raison à EDF, alors qu'il existe un contrat signé?", lance-t-il, évoquant un "casse-tête juridique" et un possible impact financier "très désagréable" pour Prague.
Au lendemain de la signature, le ministre de l'Industrie Lukas Vlcek a défendu "la validité" de la procédure, tout en reconnaissant l'existence de "risques potentiels".
- "Ne soyons pas naïfs" -
"Ne soyons pas naïfs. Nous devons surmonter patiemment les obstacles, un par un, étape par étape", souligne-t-il, disant être "en contact étroit" avec l'exécutif européen.
Contacté par l'AFP, EDF s'est refusé à tout commentaire sur cette affaire qui envenime les relations bilatérales.
Autre inconnue, le schéma de financement: le gouvernement doit obtenir le feu vert de l'UE pour pouvoir subventionner la construction.
Bruxelles avait initialement donné son accord, mais les paramètres ont été modifiés entretemps.
"Il n'est pas certain que Prague ait l'aval, d'autant plus que l'offre sud-coréenne est en cours d'examen. Or KHNP ne va pas commencer la construction à ses frais", sans garantie, prévient M. Barton.
Le groupe énergétique tchèque CEZ, contrôlé par l'État, exploite deux centrales nucléaires, Temelin et Dukovany, toutes deux situées dans le sud du pays, qui représentent environ 40% de la production nationale d'électricité.
Avec les deux nouvelles unités et de petits réacteurs modulaires devant être construits d'ici à 2050, cette part pourrait grimper à la moitié.
Le chantier est censé débuter en 2029 pour une mise en service du premier réacteur en 2036.
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https://www.connaissancedesenergies.org/afp/derriere-le-contrat-nucleaire-avec-khnp-le-pari-risque-de-prague-250619