Une plante « miracle » pour la production de kérosène bio cultivée dans l’Eure
Fabrice Moulard, agriculteur à Villiers-en-Désœuvre, cultive de la cameline utile pour la décarbonation de l’aviation civile.
Par Frédéric Durand leparisien 2 oct 2023
Fabrice Moulard cultive de la cameline pour développer un carburant d'aviation durable. #PRESSE30
Alors que le secteur de l’aviation représente aujourd’hui 2,6 % des émissions mondiales de CO2 dans l’atmosphère, des recherches ont été lancées depuis plusieurs années sur les carburants d’aviation durables (CAD). Objectif, produire des carburants de synthèse sans pétrole ou encore composés à 30 % à 50 % de biokérosène afin de réduire les gaz à effets de serre d’au moins 60 à 70 %.
Seulement, pour les raffiner tout en respectant les normes, les pétroliers ont besoin d’huiles d’une qualité très pure issues de plantes oléagineuses qui ne doivent pas concurrencer celles du secteur alimentaire. Ainsi, à Villiers-en-Désœuvre, soutenu par le groupe Avril pionnier des biocarburants en Europe, l’agriculteur Fabrice Moulard participe à une expérimentation autour de la Cameline, un végétal rustique originaire d’Europe du Nord et d’Asie centrale (on la surnomme aussi lin bâtard ou sésame d’Allemagne), cultivée depuis plus de 3 000 ans notamment pour entrer dans la fabrication des savons et des peintures.
Une filière qui pousse
Sur ses 200 hectares, Fabrice Moulard a décidé « à titre expérimental de faire pousser sept hectares de cameline afin de participer à la décarbonation des transports aériens. C’est pour identifier les territoires où cette plante peut se développer en interculture, donc entre deux cultures principales, car nous récoltons de plus en plus tôt. Il y a donc de la place. La cameline apporte un tas d’avantages car elle me permet de répondre à mes obligations réglementaires de mettre des couverts végétaux sur mes champs pendant l’été donc de stocker du carbone en permanence grâce à la photosynthèse. Elle n’entre pas en concurrence avec les cultures pour l’alimentation humaine ou animale car elle pousse en moins de 100 jours. »
Ce n’est pas tout. « En plus de l’huile tirée de ses graines, les restes (ce qu’on appelle le tourteau) deviennent de la protéine pour les animaux. La cameline résiste à la sécheresse donc demande peu d’eau et pas d’intrant comme les herbicides. Elle protège ainsi la biodiversité. Elle peut apporter un complément de revenu. Avec cette culture, au même titre que le colza pour les véhicules routiers, les agriculteurs ont un rôle à jouer dans la lutte contre le réchauffement climatique du moment où cela ne vient pas en concurrence avec les autres plantations », se félicite Fabrice Moulard.
250 000 hectares d’ici 2030
Plantées en mai ou juin, les graines de la cameline sont récoltées en ce moment, fin septembre ou début octobre : « Les tiges restent sur le sol pour le nourrir. Les graines partent vers une unité industrielle du groupe Avril pour être triturées. On sépare alors l’huile de la protéine qui servira aux animaux. L’huile sera elle raffinée pour répondre au cahier des charges des pétroliers », explique Kristelle Guizouarn, directrice des affaires réglementaires du groupe Avril.
Comme les oléagineux intermédiaires sont rares, « le groupe Avril a testé aussi la carinata (moutarde d’Abyssinie), une autre plante qui peut pousser sans besoin de terres additionnelles et favorable à l’environnement. Mais, après plus de cinq ans de travail, la cameline paraît la plus prometteuse pour répondre à la norme mondiale et à la demande française. Grosso modo, un hectare produit une tonne de graines. En 2030, nous pourrions fournir 100 000 litres d’huile et avec un rendement à 35 %, il faudra pour cela cultiver 250 000 hectares de cameline. »
Pour monter en production et séduire de nouveaux récoltants à l’image de ce qui se fait à Villiers-en-Désœuvre, « en plus des questions techniques et de gestion du risque, il faut faire de la pédagogie auprès des agriculteurs et leur assurer un revenu correct dans un cadre réglementaire européen, poursuit Kristelle Guizouarn. C’est un enjeu stratégique mondial dans la mesure où le transport aérien progresse et représentera 1/5e des émissions de CO2 d’ici 2050 en sachant qu’il faudra toujours un carburant liquide. Donc, le seul moyen d’atteindre les objectifs, c’est en grande partie par le biocarburant », assure l’ingénieure agronome.