Le rêve envolé du camionneur qui a converti sa flotte au gaz
AFP le 16 avr. 2023
Précurseur et "utopiste", Laurent Dupuy avait converti toute la flotte de son entreprise de transport au gaz: des camions flambant neufs, malheureusement mis en service juste avant la guerre en Ukraine et qui conduisent aujourd'hui l'entrepreneur alsacien au bord de la faillite.
"On fait un métier très polluant, je le sais, mais on porte l'écologie dans notre ADN, c'est important pour nous", explique le patron de "Dupuy L'éco-logique". "On voulait rouler plus propre, on a donc commencé en 2020 par faire un test avec quatre camions fonctionnant au GNL (Gaz Naturel Liquéfié, NDLR). Comme ça a parfaitement fonctionné, j'ai ensuite décidé de changer toute ma flotte pour 15 camions modernes roulant au gaz."
Le chef d'entreprise de 56 ans y voit un double intérêt: même si ses camions de dernière génération coûtent 40% plus cher à l'achat (environ 140.000 euros par véhicule), ce surinvestissement est compensé par un carburant meilleur marché et des moteurs qui consomment moins, 18 à 20 litres aux 100 kilomètres, contre 30 litres pour un camion diesel standard. L'autonomie est d'environ 800 kilomètres.
Mais les délais de livraison, allongés avec les perturbations dues au Covid, font qu'il reçoit ses nouveaux véhicules en février et mars 2022. Pile au début de la guerre en Ukraine.
- Explosion des prix -
Résultat, pour faire le plein dans les rares stations fournissant du GNL, la société doit débourser l'an dernier jusqu'à 4,50 euros par kilo de gaz - l'équivalent d'un litre de carburant - contre moins d'un euro avant la flambée des prix. Intenable pour le transporteur qui perd 900.000 euros et va demander lundi son placement en redressement judiciaire.
"Le prix du gaz ayant été multiplié par quatre, ça a tué notre entreprise", reprend Laurent Dupuy. "Déjà, on n'a pas eu de subventions à l'achat des camions, elles ont été mises en place après. Et surtout, contrairement à d'autres sociétés grosses consommatrices de gaz, on n'a pas eu droit à des aides sur les prix du gaz, à un bouclier tarifaire ou un système comme ça. On ne cochait pas les cases, alors qu'on est pourtant aussi de gros consommateurs de gaz: ça représente plus de 30% de notre chiffre d'affaires... Il semble évident qu'on aurait dû bénéficier des aides qui correspondaient à la crise."
Les prix du gaz sont aujourd'hui retombés à un niveau acceptable (1,79 euro le kilo à la pompe jeudi), qui permettrait à l'entreprise de fonctionner normalement, d'autant que "l'activité est soutenue" et le carnet de commandes bien garni.
- "J'ai eu raison" -
"Mais aujourd'hui on va être obligé de se mettre en protection par un redressement judiciaire, en espérant pouvoir récupérer toutes les subventions et les aides que l'Etat a annoncées aux gros consommateurs de gaz", déclare Laurent Dupuy. "On a envie de bien faire, je fais tout dans le bon sens et ça se passe mal pour nous. C'est triste. J'ai 50 salariés qui me faisaient confiance et c'est difficile. J'ai envie encore de continuer l'aventure avec eux, c'est pour cela que je me mets sous protection du tribunal."
Face à ce cas particulier, le ministère de l'Economie assure regarder en détail chaque situation spécifique. "Depuis le début des aides en juillet 2022, elles ont beaucoup évolué pour pouvoir être ajustées quand c'est nécessaire", assure Bercy. "Il y a eu une mobilisation exceptionnelle des services de l'Etat pour étudier les cas particuliers".
Et sans vouloir parler spécifiquement du dossier de l'entreprise Dupuy, qu'il ne connaît pas, un porte-parole souligne que celle-ci pourrait se tourner vers un conseiller départemental de sortie de crise ou un commissaire à la restructuration et à la prévention des difficultés, qui pourraient l'aiguiller utilement.
"Avec le recul, je reprendrais des camions au gaz, j'ai eu raison", maintient M. Dupuy. "La technologie est là, les véhicules sont performants. Sinon on ne résoudra pas les problèmes de pollution. On est obligé d'aller dans ce sens! On nous a demandé de faire du vert, moi j'ai été le premier à faire du vert et à passer tous mes camions au gaz. Mais malheureusement on ne pouvait pas imaginer qu'il y aurait la guerre en Ukraine et une telle spéculation sur le prix du gaz."