Face à la surproduction, des viticulteurs du Bordelais se décident à arracher des vignes
Article de Olivier DARRIOUMERLE 26 aout 2024
Pour enrayer la surproduction de vin, dans le Bordelais, la première partie d’un plan d’arrachage des vignes s’achève. Les viticulteurs se diversifient, comme Philippe Lherme, qui ne conserve que ses hectares de terroir prestigieux et développe le maraîchage.
Dans un village de l’Entre-Deux-Mers, Philippe Lherme a arraché les deux tiers de ses vignes.
© Ouest-France
Il faut une vie pour construire un domaine. Maintenant il faut arracher pour sauver le vignoble bordelais de la surproduction , souffle Philippe Lherme. Ce viticulteur du Bordelais refuse de se plaindre : J’ai des confrères qui passent devant le tribunal de commerce…
Dans son village de l’Entre-Deux-Mers, il a recréé l’œuvre de son arrière-grand-père, négociant et viticulteur au début du XXe siècle, qui assemblait ici, sur les bords de la Dordogne, un vin rouge transporté en gabare. En 1999, Philippe Lherme a racheté les bâtiments de son ancêtre et commencé avec deux hectares. En 25 ans, j’ai grappillé des terrains, à droite à gauche, jusqu’à en posséder 22 hectares .
Fin juillet, il arrachait les deux tiers de ses vignes. Philippe Lherme ne conservera que sept hectares, sur un terroir très qualitatif, avec vue sur le clocher de Saint-Émilion (Gironde). Même si les ventes de primeurs n’ont pas été florissantes, avec une baisse des prix, les appellations réputées gardent leur prestige, confirme Renaud Laheurte, à la tête de la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM). Le plan d’arrachage a été ouvert à tous les viticulteurs, avec une prime d’un montant de 6 000 € par hectare. On voit bien qu’il concerne à 95 % les plus grosses appellations en volume (Bordeaux, Bordeaux sup, Côte de Bourg et Côte de Blaye) qui se vendent le plus difficilement .
« On ne pouvait pas continuer comme ça »
Philippe Lherme a un stock de 40 000 bouteilles de Bordeaux qui ne se vend pas. Il profite de son étal au marché des Capucins de Bordeaux pour écouler ses litres d’invendus entre ses cageots de légumes de saison. On ne pouvait pas continuer comme ça. Les négociants achetaient le tonneau à 700 € (900 litres, NDLR), alors que le prix de revient de la culture et de la vinification se situe entre 1100 et 1 200 € le tonneau ».
Une crise économique qui sonnait l’alarme d’un risque sanitaire accru. Les maladies peuvent proliférer dans les vignes mises en friche depuis plusieurs années, de ce fait, non traitées , explique Renaud Laheurte. L’État, l’interprofession (CIVB) et la Région Nouvelle-Aquitaine ont débloqué une enveloppe globale de 57 millions d’euros. La surproduction et la déconsommation de vin rouge ne pouvant que croître, on a pris les devants, pour ne pas reporter le risque sanitaire. On a offert aux viticulteurs la possibilité d’un arrachage primé ».
La prime, Philippe Lherme l’investit dans 13 hectares de peupliers et développe sa production maraîchère sur un terroir humide : la palud, terre d’alluvions. Il y a quinze ans, j’avais senti le coup venir. J’ai progressivement acheté des terres en bord de rivière pour me diversifier , dit-il en vendant une bouteille de rouge et une botte de carottes.
8 000 hectares à arracher
Aujourd’hui, l’enveloppe de l’interprofession (19 millions d’euros) destinée à la diversification agricole est consommée. Il reste à dépenser celle de l’État (38 millions d’euros) pour la renaturalisation (zones naturelles, jachère ou en boisement). Selon la préfecture, au 31 juillet 2024, 2 400 hectares ont été arrachés. Le plan a été prolongé fin septembre pour atteindre l’objectif de 8 000 hectares. On ne pouvait pas rentrer dans les parcelles à cause de la mauvaise météo. Il y a eu un embouteillage. Mais, aujourd’hui, le chantier est en plein boom. Les chiffres bougent tout le temps , conclut Renaud Laheurte.
Les guichets rouvriront fin avril 2025 pour défricher, au fur et à mesure, les dernières parcelles. Les terres non exploitées depuis 2022 ou 2023 seront prioritaires, pour qu’elles ne constituent pas un foyer de maladie au printemps.