Face à la chute des prix, les profits des grands miniers baissent et l'investissement se fait hésitant
Les résultats 2023 de tous les grands industriels de la mine ont été touchés par la dégringolade des prix des métaux. Entre les taux d'intérêt élevés et des cours jugés trop bas, certains hésitent à investir trop vite.
Nathan Mann 01 mars 2024 usinenouvelle
Seuls les très grands projets déjà en opérations, comme la mine de cuivre d'Oyu Tolgoi qu'opère Rio Tinto en Mongolie, ont les faveurs de l'industrie.
Même le lithium, pourtant ingrédient star de l’industrie en plein essor des batteries électriques, ne suffit pas à rassurer l’industrie minière. A long terme, aucune inquiétude sur la demande. A court terme par contre, la dégringolade des prix décourage les bonnes volontés. Fin d’année 2023, l’or blanc se monnayait à 15 dollars le kilogramme ($/kg), en chute de plus de 80% sur 12 mois. D’où des décisions industrielles.
«Nous avons identifié des investissements stratégiques et des projets au sein de l’entreprise qui n’ont pas besoin d’avancer aussi vite à court terme », a déclaré Kent Masters, le PDG du groupe américain Albemarle, lors de la présentation de ses résultats annuels. Les cours sont jugés «non viables sur la durée, parfois en dessous des coûts de production de certains actifs en opération», au point que «les fondamentaux économiques pour de nouveaux projets ne sont pas là», liste l’homme à la tête du plus grand producteur de lithium dans le monde.
Chute des profits chez la plupart des grands miniers
Malgré une production qui augmente, les résultats nets d'Albemarle, à plus de 1,5 milliard de dollars en 2023, sont en forte baisse par rapport à l’année précédente (-42%) et même négatifs au dernier trimestre. Résultat : le groupe prévoit de diminuer de 300 à 500 millions de dollars ses investissements en 2024. Tout en continuant ses grands projets au Chili, en Australie et en Chine, il souligne sa volonté de «discipliner la dépense» face à un marché difficile.
Dans la litanie des résultats financiers des groupes miniers, la «discipline» semble faire office de mot d’ordre partagé. L'équation est simple : les cours sont bas, l'inflation complique les nouveaux projets et les actionnaires souhaitent garder une rentabilité. Or les résultats des grands du secteur, notamment ceux les plus exposés au nickel et au cobalt, sont à la peine. «Dans ces métaux de batteries, une grosse vague de capacités de production est arrivée, alors que la demande a été ralentie par la conjoncture en Chine et des ventes de voitures électriques moins exceptionnelles que prévu», rappelle Bernard Dahdah, analyse des prix des métaux senior chez Natixis.
De quoi faire mal à Eramet, dont l’Ebitda ajusté (-29%) et le résultat net ont dégringolé (-85%) en raison d'un «contexte de prix dégradés» lié à la chute du nickel et du manganèse. Le groupe français n'est pas seul. Le géant suisse Glencore affiche un revenu brut divisé par deux et des résultats nets en baisse de 75% (à 4,3 milliards de dollars), en raison du déclin des cours du charbon, mais aussi de la baisse des prix du zinc (-27%), du nickel (-28%) et surtout du cobalt (-50%). Victimes collatérales : les mines de cuivre africaines du groupe, dont le cobalt est d’habitude un coproduit lucratif, voient aussi leur rentabilité affectée.
Autre cas particulier : le sud-africain AngloAmerican a été particulièrement touché par la baisse des platinoïdes et des diamants, avec des profits en chute libre de 94%, incluant une importante dépréciation sur sa filiale diamantaire De Beers !
Le minerai de fer résiste
En réalité, le tableau n’est pas si sombre. La guerre en Ukraine avait propulsé les cours à des niveaux stratosphériques et «les prix restent relativement élevés si on les compare à l’historique des 15 dernières années», pointe Bernard Dahdah. En 2023, le prix du minerai de fer a même augmenté, et s’est négocié autour de 120 dollars la tonne, porté par la demande chinoise au quatrième semestre.
Le mastodonte australien du marché, BHP, affiche ainsi un chiffre d’affaires en légère hausse, porté par le fer et le charbon métallurgique. Si ses profits s’écrasent sur les six derniers mois de 2023, le contexte opérationnel ne joue qu’un rôle mineur dans la dégringolade de ses profits du second semestre 2023, surtout en raison de deux importantes dépréciations liées à la catastrophe minière de Samarco au Brésil et à la tourmente qui touche le nickel, qui le pousse à envisager sérieusement de suspendre l’activité de ses mines en Australie-Occidentale. Les deux autres grands producteurs de fer, le britannique Rio Tinto et le brésilien Vale, voient aussi les résultats de leur activité principale préservés et n'enregistrent qu'une baisse limitée respectivement de 9 % et 12% de leur Ebitda.
Problème : la situation n'est pas propice aux grands investissements. Dans le détail, Rio Tinto et BHP maintiennent des budgets d'investissement élevés pour poursuivre leurs grands projets en cours, notamment dans le fer et le cuivre. Glencore se renforce dans les métaux qui serviront à la transition… mais attend avant de sortir la grosse artillerie. «A 8 500 [dollars la tonne], je peux vous garantir que nous n’allons pas construire de nouveaux actifs : le marché semble tendu, mais les prix ne le reflètent pas», a défendu devant des analystes, Gary Nagle, le PDG du groupe suisse en référence à deux giga-projets de mine de cuivre en Argentine, baptisés El Pachon et Mara.
«Depuis plusieurs années, le capital d’investissement des grandes entreprises minières reste relativement bas, à moins de 50% de ce qu’il était à son plus haut en 2011. Elles attendent des prix élevés à très long-terme, d’autant qu’on a vu avec la crise du nickel que les investisseurs européens réclament des taux de retour sur investissement nettement plus élevés que leurs homologues asiatiques», commente Bernard Dahdah, de Natixis. Prudente du point de vue financier, cette stratégie risque de limiter les approvisionnements en métaux à moyen et long terme. En octobre dernier, le cabinet S&P chiffrait que les dépenses d’investissement des 30 plus grands acteurs miniers atteindrait près de 110 milliards de dollars en 2023, avant de diminuer en 2024 et 2025. Problème, décaler les investissements n'est pas anodin : «on observe un délai de 5 ans entre le moment où l'investissement baisse et celui où la production décroît, et ouvrir une mine prend 10 à 15 ans», rappelle Bernard Dahdah.